La pollution sort des pots d’échappement, mais aussi de certaines bouches. À côté des pseudo-scientifiques climato-négationnistes, une galaxie de philosophes médiatiques participe, sous couvert de penser l’époque, à armer la pensée anti-écologie. Voici un manuel de résistance aux arguments de cette galaxie réactionnaire, qui trouve dans les médias de droite un haut-parleur toxique.
Un article de Youness Bousenna issu du numéro 5 de Fracas.
Luc Ferry, en croisade pour la clim
L’œuvre philosophique de Luc Ferry ne restera pas dans l’histoire de la pensée. Ou peut-être que si, car l’ancien ministre de l’Éducation nationale est tout de même précurseur dans un domaine : avec Le Nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme (Grasset), il a fourni dès 1994 l’un des ouvrages matriciels de la haine de l’écologie. L’avantage, avec Luc Ferry, c’est qu’il a posé tous les arguments qui seront recyclés par cette galaxie. Et d’abord celui de la présumée racine nazie de ce courant de pensée – une affirmation déconstruite par Serge Audier dans La Société écologique et ses ennemis (La Découverte, 2017), qui rappelle qu’il s’agit de « l’une des stratégies de disqualification » les plus anciennes de l’écologie. Ensuite, l’argument la dépeignant comme un courant hostile à la modernité et à l’Occident. Et, enfin, celui d’une idéologie à visée totalitaire. « Après la chute du communisme, la haine du libéralisme devait absolument trouver un nouveau cheval », expliquait-il dans sa chronique hebdomadaire du Figaro, en 2019.
Car « faut-il vraiment que nous renoncions à nos voitures et à nos avions, à nos climatiseurs, nos ordinateurs, nos smartphones, nos usines ou nos hôpitaux high-tech pour sauver la planète ? » Oui, Luc. Lui-même, pourtant, ne rejette pas l’écologie. Au contraire, il en précisera sa vision dans Les sept écologies (L’Observatoire, 2021), où il joue aux sept familles (les effondristes, les alarmistes, etc.) pour finir par lui-même défendre un « écomodernisme », vantant « un libéralisme dont nous avons plus que jamais besoin pour créer les richesses dont nul n’a envie de se passer ». Et, au passage, vanter en 2023, dans les colonnes du Figaro, l’économie circulaire pratiquée par « des raffineries italiennes reconverties dans la production de biopolymères » ou le recyclage dans le secteur automobile. Ce qui n’est peut-être pas totalement déconnecté d’une autre activité du philosophe, qui est aussi un conférencier émérite, « habitué à intervenir en séminaires d’entreprises ». Quand l’exercice de la pensée fait aussi du bien au porte-monnaie, pourquoi s’en priver ?
Pascal Bruckner, pourfendeur du « despotisme à la chlorophylle »
Dans cette galerie de penseurs allergiques à l’écologie, deux arguments contradictoires sont invoqués. Il y a ceux qui fustigent une science climatique totalitaire, qui voudrait nous imposer de nouvelles normes, et ceux qui font de l’écologie un obscurantisme. L’essayiste Pascal Bruckner est de ceux-là : « Haine du progrès et de la science, culture de la peur, éloge de la frugalité : derrière les commissaires politiques du carbone, c’est peut-être un nouveau despotisme à la chlorophylle qui s’avance. » Voici l’argument au cœur de l’essai Le fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme (Grasset) que publiait Pascal Bruckner en 2011. Son raisonnement, qu’on retrouve en sous-titre, se résume à affirmer que les écolos aiment la nature parce qu’ils détestent les hommes – comprendre : l’homme occidental blanc.
Pascal Bruckner a ainsi une fonction, celle d’être le porte-voix d’une bourgeoisie de droite agacée d’être dérangée dans son confort de jouir du monde, et pour qui toute forme de contrainte est insupportable. Hérissé par une écologie « gangrénée par le catastrophisme », il s’emportait dans Le Figaro, en 2019 : « L’écologie pratique l’extension massive du domaine des interdits : non au diesel, à la voiture, à l’avion, aux OGM, à la viande. » Il n’en faut pas plus pour recycler l’antienne préférée de la droite libérale, déjà servie par Luc Ferry, selon laquelle l’écologie est un nouveau totalitarisme. Après le rouge, le vert : « [L’écologie] reprend tous les postulats du marxisme pour désigner l’ultime coupable : l’homme lui-même dans sa volonté de domination. » Bref, il faut laisser Pascal dominer tranquille.
Alain Finkielkraut, du vent contre les éoliennes
Alain Finkielkraut est écolo. Oui, vous avez bien lu. Le philosophe a d’ailleurs fait graver une tête de vache normande sur son épée d’académicien lorsqu’il est entré sous la Coupole, en 2014. Il a même consacré un livre à la question animale, Des animaux et des hommes (Stock, 2018), tiré de ses émissions « Répliques » sur France Culture. On ne peut le lui enlever, l’homme se soucie des animaux, dénonçant même les « élevages concentrationnaires » (« C à vous », 2018). Appelle-t-il à les interdire ? Nullement car, globalement, Alain Finkielkraut déplore des états de fait qui tombent du ciel, jamais le fonctionnement du capitalisme. Il se dit d’ailleurs anti-antispéciste, comme anti-tout ce qui s’apparente au militantisme écologique. Ici se trouve le nœud de l’écologie poétique qu’il a théorisé dans une conférence donnée en 2019 à Erbalunga (Corse). « La nature a besoin de poètes pour que nous y soyons sensibles », y déclarait Alain Finkielkraut, pour qui la sensibilité et la contemplation doivent guider le rapport à la Terre. Ce qui pourrait être un bon moyen de s’élever contre les projets écocidaires…
Mais non : Finkielkraut en tire un argument contre l’écologie elle-même, qu’elle soit scientifique (le Giec) ou politique. « L’écologie officielle ne connaît plus la nature, ni le nom de ses habitants, mais seulement la « biodiversité » ou les « écosystèmes », ce qui veut dire que le souci de l’être s’exprime désormais dans la langue de l’oubli de l’être », avance le philosophe. Ainsi, « on délaisse l’amour des paysages pour les problèmes de l’environnement. Et on n’a pas de temps à perdre avec la beauté du monde quand la planète est en péril. » Il y aurait donc les amoureux du paysage et les activistes, qui corrompent la beauté du monde avec leurs éoliennes et leur biodiversité. De « la laideur vrombissante de ces turbines géantes, de ces mastodontes effrayants qu’on appelle les éoliennes » à Greta Thunberg dont les appels à écouter la science sont réduits à des « sommations de la parole puérile », voici les vrais ennemis de Finkie. Ou comment se revendiquer de la contemplation permet de justifier l’inaction.
Michel Onfray, ou l’astrophysique contre le Giec
Michel Onfray est un cas intéressant. Se réclamant d’une gauche libertaire et souverainiste, il semblait plutôt prédestiné à embrasser une écologie technocritique et rurale. Et c’est en effet de celle-ci qu’il se réclame dans un livre d’entretiens paru en janvier 2025, Entendez-vous dans nos campagnes (Éditions du Plénitre). « En opposant une écologie urbaine, punitive, livresque, politicienne, à une écologie rurale, concrète, pragmatique. C’est un combat gramscien qu’il faut mener contre le monopole de l’écologie idéologique », expliquait-il au Figaro. Soit. Mais, dans les faits, c’est plus à l’écologie qu’il mène la guerre qu’au capitalisme, et avec deux axes de prédilection.
Le premier, c’est que Michel Onfray a un problème avec la vérité scientifique. Un exemple, parmi d’autres, de ses vérités alternatives : dire que « l’astrophysique nous enseigne » qu’il existe « des cycles » de réchauffement et de refroidissement depuis que la planète existe, et que l’influence humaine n’est pas vraiment mesurée (sur CNews, en 2024). Le second, c’est qu’il a un problème avec les scientifiques tout court, en particulier le Giec (« en termes de scientificité, c’est pas terrible », décrypte-t-il), et tous ceux qui s’en réclament. En particulier Greta Thunberg, pour qui sa haine vire au pathologique : « Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion [et] fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du posthumain », éructe-t-il sur son blog.
Finalement, sous couvert d’une écologie populaire, Michel Onfray rejoint la galaxie de droite en recyclant ses arguments (l’écologie est un totalitarisme vert qui prolonge le totalitarisme rouge du XXe siècle, les écolos aiment la nature pour mieux détester hommes, etc.), et en dialoguant directement avec. Sa revue Front populaire proposait en 2021 un numéro « Écologies, les leurs et la nôtre », qui ouvrait ses colonnes à Luc Ferry, Franz-Olivier Giesbert, au chef de file des climato-négationnistes Benoît Rittaud, ou encore à Brigitte Bardot, qui aime les animaux pour mieux détester les immigrés. Bref, à force de se vouloir plus à gauche que les bobos, l’écologie de Michel Onfray finit par sentir le brun.
Chantal Delsol, pour le droit au climato-négationnistes
A priori, Chantal Delsol n’a pas un CV pour s’intéresser à l’écologie. Philosophe spécialiste de la pensée politique, professeure des universités, présidente depuis dix ans de la prestigieuse Académie des sciences morales et politiques (une sœur de l’Académie française, au sein de l’Institut de France)… Son pedigree de penseuse de droite est complété par un déclinisme croissant, ressassant les lubies de la droite réac – la fin de l’Occident, de la culture chrétienne et de l’universalisme sous l’essor de la revendication des droits et de la remise en cause de l’autorité. Jusque-là, rien que de très banal. Mais Chantal Delsol a curieusement embrassé la haine de l’écologie en se faisant protectrice d’un ancien doctorant. En 2008, Bertrand Alliot soutenait une thèse de science politique sous sa direction. Depuis, cet ingénieur employé dans l’administration de l’université Gustave-Eiffel (Seine-et-Marne) a créé l’association Action écologie en 2020, marquée par son climato-négationnisme et ses liens avec l’extrême droite.
La philosophe va alors faire bénéficier à cette obscure organisation d’un coup de vernis salutaire en lui ouvrant les portes de… l’Institut de France pour y organiser un colloque en novembre 2024, qu’elle a elle-même inauguré par une allocution. L’événement, qui a fait crisser quelques dents sur le quai de Conti, a eu une conséquence immédiate : l’université Gustave-Eiffel a démis Bertrand Alliot de ses fonctions. « L’écologie, telle que promulguée dans ses vérités définitives par une autorité suprême, s’affaire à ostraciser socialement ceux qui s’avisent d’en discuter les dogmes. Et dénoncer le statut de religion apocalyptique que revêt désormais l’écologie conduit à la prison sociale », s’est aussitôt étranglée Chantal Delsol dans une tribune au Figaro – un journal qui, comme vous le constatez, se révèle le principal haut-parleur de la haine de l’écologie. De son côté, Bertrand Alliot a publié en mai un livre, Comprendre l’incroyable écologie (Salvator), malicieusement sous-titré Analyse d’un écolo-traître. Et préfacé par Chantal Delsol, évidemment.