Sous le règne de l’industrie, en régime capitaliste, produire des biens et services présente toujours des dangers. Les infrastructures sont accidentogènes, les matériaux utilisés polluants, les « externalités » négatives. En somme, la production sociale des richesses (croissante) va de pair avec la production sociale du risque (croissant), tandis que les technologies requises pour maintenir cette dynamique tout en atténuant les dégâts se font de plus en plus complexes et opaques. Ce constat n’a rien de neuf. Et pourtant, la situation n’a jamais été aussi critique.
Pour se maintenir, la société du risque, ou plutôt l’État industriel, a besoin de produire de la sécurité, de l’ignorance, de l’invisibilité. Il faut rassurer les populations par des seuils (souvent fictifs), des contrôles (sous-dimensionnés), de la résignation (par le chantage), et parfois, du mensonge. Et pour éviter toute contestation de masse, une autre réalité doit être dissimulée : l’inégale répartition des menaces. Quelles sont les personnes les plus assujetties au risque industriel ? L’ouvrier de la chimie, l’agricultrice en élevage porcin, la contrôleuse de centrales, l’agent de maintenance. Et toutes les populations pauvres, racisées, qu’on oblige à habiter au contact des usines et qui meurent plus tôt que les autres. Et leurs enfants avec eux, qui souffrent de maladies pédiatriques. Et les gens du voyage, qu’on parque dans des endroits dangereux. Et les anciennes colonies enchaînées à cet héritage : on meurt encore des radiations en Polynésie, comme on meurt encore du chlordécone en Martinique.
Qu’a fait l’écologie médiatique ces dernières décennies ? Pas grand chose. Il faut reconnaître que sa position est délicate. Qu’elle dénonce la présence de telle ou telle installation polluante, voilà qu’on l’accuse de verser dans le « Nimby », le « pas dans mon jardin », et donc de néo-colonialisme : plutôt dans les pays pauvres que chez nous. Qu’elle s’oppose à telle ou telle installation accidentogène, et la voilà accusée de détruire de l’emploi, d’être bourgeoise. Parfois à raison, mais la critique reste facile.
Un espoir renaît toutefois, et il vient d’en bas. À Grandpuits, à Salindres, à Fos-sur-Mer, dans les raffineries comme dans les usines à PFAS ou les hauts- fourneaux, travailleurs et travailleuses exigent qu’on protège leur emploi, mais leur santé aussi, et celle de leur famille, de leurs forêts, de leur territoire, et même de la planète. Celles et ceux pour qui la catastrophe environnementale n’est pas qu’une question de pics de pollution et de degrés Celsius commencent à se soulever et exiger que l’on fabrique autre chose, que l’on produise différemment. Des écolos répondent à l’appel, des nouveaux venus des Soulèvements de la terre aux vétérans des Amis de la terre. Des habitants aussi, organisés en collectifs, et même parfois en syndicats, comme Riverains ensemble, qui demandent de protéger les habitants des pesticides en sauvant du même coup la paysannerie. Ou encore le Syndicat de la montagne limousine qui, à l’initiative d’habitants et d’habitantes, entend s’attaquer aux problèmes du territoire en liant entre elles les demandes écologiques, économiques et sociales.
C’est bien dans ces vastes coalitions hétérogènes que renaît l’espoir d’un bloc social écologique capable de désamorcer la bombe à retardement.
