20 juin 2024

Vanessa Codaccioni : « L’extrême droite a toujours pris la défense des policiers auteurs de violences »

Crédits photo : @ev


L’arrivée au pouvoir du Rassemblement national pourrait se traduire par un usage sans précédent de la répression politique contre les militants de gauche et écolos, estime Vanessa Codaccioni, autrice de La Société de vigilance (Textuel, 2021) et de Répression. L’État face aux contestations politiques (Textuel 2019). Pour la politiste, certaines mesures plébiscitées par l’extrême droite, comme la présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre, auraient des conséquences désastreuses en termes de violence policières.

Propos recueillis par Clément Quintard

Quelle est la spécificité de l’extrême droite française, ces dernières années, en ce qui concerne les opposants politiques engagés dans une contestation radicale ?

Au niveau du discours, pour commencer, il n’y a pas véritablement de différence entre les macronistes, les Républicains et l’extrême droite sur la question du militantisme oppositionnel, qu’on pourrait résumer à : « les violences policières n’existent pas » et « il faudrait réprimer davantage ». Marine Le Pen proposait par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2022, de rétablir la loi « anti-casseurs » de 1970 qui permet de punir tous les participants à une manifestation dès lors qu’il y a eu des violences, ce qui revient à instaurer une forme de responsabilité pénale collective. C’était aussi le projet d’Édouard Philippe lorsqu’il était Premier ministre en plein mouvement des Gilets jaunes.

En revanche, La spécificité du Rassemblement national (RN), c’est de défendre des militants de groupuscules de l’extrême droite lorsqu’ils sont eux aussi réprimés. Marine Le Pen a par exemple largement pris la défense de Génération identitaire, lorsque le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait annoncé qu’il allait dissoudre ce groupuscule après les actions anti-migrants dans les Alpes, en disant que c’était une atteinte à l’état de droit et à la liberté d’expression.

La répression politique va-t-elle s’intensifier en cas d’accession du RN au pouvoir ?

En tout cas le terrain est dégagé pour. Le RN pourra disposer de tout un arsenal répressif légué par l’ensemble des précédents gouvernements, qui sont déjà allés très loin sur les questions de surveillance, de répressions policière et judiciaire. Mais il y a encore de la marge ! On peut tout à fait imaginer que le RN organisera un maintien de l’ordre beaucoup plus dur qu’actuellement, donc avec une multiplication des arrestations, des gardes à vue, des poursuites judiciaires et des violences policières potentiellement mortelles. 

« L’extrême droite a toujours dit que la défense des biens était aussi importante que la défense de la vie »

Gérald Darmanin a affirmé devant une commission d’enquête parlementaire que « les biens sont aussi importants que les personnes » pour légitimer la violence sans précédent qui s’est abattue sur les manifestants anti-bassine à Sainte-Soline. N’y a-t-il pas, là aussi, un parallèle singulier à faire avec ce que l’extrême droite défend depuis des décennies ?

En effet, l’extrême droite a toujours dit que la défense des biens était aussi importante que la défense de la vie et va, à partir des années 1960-1970, soutenir inconditionnellement les particuliers qui tuent pour protéger leurs biens et leur propriété. Il y a là une vraie volonté de susciter dans la population un désir de répression, même mortelle, contre les « fauteurs de troubles », voire de la faire participer directement à ces violences. Et on peut imaginer, par exemple, que le RN pourrait soutenir sans réserve des agriculteurs qui en viendraient à s’opposer violemment à des manifestants écologistes. 

Légalement, est-ce que ça pourrait par exemple aboutir à un assouplissement des législations sur le port d’armes dans le but d’armer certaines populations contre d’autres… ? 

Ça, c’est dans l’ADN de l’extrême droite : pouvoir armer les « honnêtes gens » contre « la racaille ». Cette proposition est rarement évoquée directement par le RN parce qu’aujourd’hui, on est dans un pays totalement désarmé. Mais on ne la retrouve de manière persistante que dans certains think tank. C’est une des choses qui me fait le plus peur si le Rassemblement national arrive au pouvoir : la légitimité qui serait donnée à des groupuscules d’extrême droite ou à des collectifs de citoyens qui pourraient, dans le futur, obtenir la possibilité de s’armer pour lutter contre « l’insécurité ». Ce serait des “Voisins vigilants armés”. Mais on a déjà les chasseurs…

« À chaque fois qu’on change la législation sur la légitime défense policière, il y a une augmentation des violences mortelles. »

Vous vous êtes particulièrement intéressée à une promesse de campagne du RN : la présomption de légitime défense pour les policiers. En quoi cette mesure est-elle emblématique du rapport de l’extrême droite aux questions de sécurité ? 

Si on résume, la présomption de légitime défense c’est : un policier tire, et il est immédiatement considéré comme ayant agi en état de légitime défense, sauf si les enquêteurs et la justice peuvent prouver le contraire. L’extrême droite a toujours pris la défense des policiers auteurs de violences policières mortelles. Toujours. Cette proposition de présomption de légitime défense, c’est à la fois une manière de protéger les policiers auteurs de « bavures », mais c’est aussi une manière de répondre aux revendications des syndicats de police comme Alliance Police nationale, qui réclament au moins depuis 2012 cette mesure. Le but, c’est que les policiers auteurs de violences mortelles ne soient pas inquiétés par la justice : pas d’enquêtes, pas de condamnations. C’est la position du RN mais, là encore, c’est aussi la position que peut tout à fait défendre une partie de la droite.

Que fait courir une telle mesure comme risque en termes d’impunité policière, et donc d’effets dissuasifs chez certaines populations désignées comme « ennemis de l’intérieur » ?

À chaque fois qu’on change la législation sur la légitime défense policière, il y a une augmentation des violences mortelles. Après le vote de la loi relative à la sécurité publique en 2017, le nombre de tirs pour refus d’obtempérer est passé de 137 en 2016 à 202 en 2017, avec cinq fois plus de personnes tuées dans ces circonstances. Lorsque les policiers se sentent davantage protégés, ils se sentent légitimés à utiliser leurs armes. On sait qu’au sein de la police, il y a quand même la peur du procès, la peur des poursuites et une telle mesure qui diminue le risque d’être inquiété par la justice aura nécessairement un effet sur l’augmentation des tirs policiers et les violences mortelles, qu’il s’agisse des individus racisés des quartiers populaires ou des activistes en manifestation.

Quels conseils adresseriez-vous aux personnes engagées dans une forme de contestation radicale, en cas d’accession au pouvoir du RN ?

Il y a de réels risques de violences, à la fois de la part de la police, mais aussi des groupuscules d’extrême droite. On le voit ces derniers jours : on les sent tous impatients et ils commencent déjà à agir. Donc il va falloir être extrêmement prudent dans les manifestations, dans la rue, même sur les réseaux sociaux, et s’armer sur le plan juridique.


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