Los Angeles ravagé par les flammes : des images apocalyptiques qui emplissent nos écrans et sidèrent le monde entier depuis une semaine. Mais faut-il tout reconstruire ? Peut-on vraiment «s’adapter» au changement climatique ?
Faut-il laisser Malibu brûler ? La question peut paraître choquante face à la sidération que produisent les images des mégafeux qui ravagent Los Angeles et ses alentours, et qui ont déjà emporté la vie de 24 personnes à cette heure. Elle avait pourtant été posée par l’auteur Mike Davis en… 1998. Le propos avait été fraîchement accueilli à l’époque par la presse américaine, et se révèle pourtant aujourd’hui d’une rare prescience.
Que nous dit Mike Davis ? « Pour la plupart d’entre nous, lorsque nous achetons une maison, nous menons notre enquête sur le voisinage. À Malibu, le voisinage, c’est le feu. » Car oui, nous rappelle l’auteur, les écosystèmes californiens ont co-évolué avec le feu, qui partait ici des terres à la faveur de conditions météorologiques particulières et descendait vers l’océan. C’est la ville qui s’est mise sur son tracé, qui a décidé de planter des arbres inflammables dans les jardins, de densifier l’habitat facilitant la propagation du feu. Le problème n’est pas le feu, c’est le baril de poudre qu’on a installé à proximité.
Un autre baril de poudre, celui du changement climatique, ne cesse quant à lui de grossir. La zone touchée par les feux a par exemple quintuplé en quelques décennies, tandis que le nombre de « jours propices aux feux » par an a augmenté de 61. Sans parler du pompage massif de la ressource en eau par l’agriculture intensive, la dégradation des services publics, etc.
À l’époque, et cela vaut toujours maintenant, Mike Davies est révolté par la transformation de Malibu et des autres villes avoisinantes comme Pacific Palisades et Santa Monica en zones résidentielles pour la upper class alors qu’elles auraient dû être des parcs, des espaces non articifialisés et accessibles à tous. Les plus riches et la faune d’Hollywood s’y sont installé en profitant d’assurances artificiellement bon marché, car dopées par de l’argent public, à des services publics de maîtrise des feux les plus compétents au monde et logiquement très chers : bref, la socialisation du risque par le grand nombre pour permettre à quelques uns de s’installer dans un château sur les hauteurs de Los Angeles
Ces happy fews voient donc aujourd’hui leur maison brûler. Les caméras du monde entier se tournent pour voir ces pauvres ultra-riches, les Patrick Bruel, les Laeticia Hallyday, les Paris Hilton, les Mel Gibson pleurer à chaudes larmes, alors même qu’ils ont pour la plupart contracté des assurances hors de prix. En bas de la chaîne alimentaire, les moins aisés qui ont, eux, contracté des assurances semi-privées (FAIR), se retrouvent bien incapables de couvrir les dommages, et n’auront que leurs yeux pour pleurer.
Une « culture du risque » ?
La question se repose donc dans les mêmes termes qu’il y a trente ans : faut-il laisser brûler ces quartiers résidentiels et aller s’installer ailleurs ? Penser la ville autrement ? Certainement pas. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, n’a qu’un mot à la bouche : reconstruire. Reconstruire en débloquant des moyens exceptionnels face à une situation exceptionnelle. Reconstruire alors même que les dégâts auraient déjà dépassé les 250 milliards de dollars, que les assureurs, comme en Floride, se retirent de la région, et que le spectre d’une banqueroute de l’État le plus riche des États-Unis se profile.
Derrière la question du « faut-il reconstruire », s’en profile une autre : peut-on réellement faire face aux effets du changement climatique ? Dans le déni général, les gouvernants s’accrochent désespérément au seul mot qu’il reste dans leur vocabulaire en pareilles circonstances : adaptation. Ou, comme le proclame la ministre de la Transition écologique (et des intérêts pétroliers) Agnès Pannier-Runacher : « construire une culture du risque qui soit partagée et développer les bons réflexes ».
Mais le refrain commence à faire l’effet d’un disque rayé. Même le New York Times s’interroge franchement : « Les événements de cette semaine […] soulèvent la question dérangeante de savoir s’il y a un endroit aux États-Unis – pourtant le pays le plus riche, le mieux préparé et le plus expérimenté – qui puisse réellement s’adapter à des incendies aggravés par un climat plus chaud. »
Le journal rappelle qu’il y a deux manières de concevoir l’adaptation. Il y a bien entendu la manière forte, qui consisterait à profondément repenser l’urbanisme et les infrastructures, espacer les maisons et construire moins, plus petit, ne plus planter d’arbres n’importe où, voire carrément favoriser le déménagement ailleurs – une « retraite en bon ordre ». Et puis il y a l’autre manière « souvent appelée “résilience” [et à laquelle] la Californie excelle » : « essayer de renforcer les communautés sans rien changer fondamentalement ».
On pourrait même se demander, comme le fait le géographe Michel Lussault sur le plateau de C Ce Soir, si le temps de l’adaptation n’est pas déjà révolu. A minima, nos riches propriétaires pourraient-ils avoir une « prise de conscience » comme certains continuent manifestement de l’espérer ? Gageons plutôt qu’ils seront surtout enclins à privilégier leurs intérêts personnels et leur statut en reconstruisant à l’identique, plus gros, plus clinquant, aveugles au chaos climatique qui se dessine, sinon complices.