Aujourd’hui, tout le monde est écolo. Le camp de l’émancipation ne peut plus se targuer d’être le seul sur ce terrain, et la bataille pour accaparer le « signifiant écologie » fait dorénavant rage dans le débat public. Dans ce dernier volet de la série Écorama, penchons-nous sur le cas du scientifique hémicéphale, pour qui l’inaction des dirigeants procède forcément de leur ignorance.
Un article issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Olga Prader.
L’écologie fut scientifique avant d’être politique, c’est bien connu. Malheureusement, certains scientifiques hémicéphales n’ont pas suivi le mouvement naturel de leur discipline. Dans le champ médiatique, on les repère les yeux fermés au son des pleurs et des hoquets : nos dirigeants n’ont-ils pas d’yeux pour lire les rapports du Giec ? N’ont-ils pas d’oreilles pour entendre nos alertes ? N’ont-ils pas de mains pour agir ? Après tant d’années à souffrir des mêmes déceptions, il ne leur semble toujours pas venue l’idée que leur axiome puisse être erroné. L’axiome en question : l’inaction des dirigeants procède de leur ignorance. À force de les voir défiler au tableau devant un parterre d’élèves dirigeants dissipés, on aimerait leur souffler d’autres mots qui réveilleraient certainement leur audience : capitalisme, intérêts de classe, action écocidaire… On aimerait leur montrer à l’horizon cet autre continent, par-delà l’océan brumeux de la neutralité scientifique, qu’ils s’efforcent de ne pas voir. Ce continent qu’on appelle Politique.
Prenons Jean Jouzel, par exemple, grand climatologue lacrymal français. Invité à l’antenne de Radio France, la chaîne de service public titre ensuite son intervention : « Le capitalisme est incompatible avec la lutte contre le réchauffement. » Caramba ! Serions-nous à deux foulées de la prise du Palais d’Hiver ? Jean sur la barricade ! Jouzel en première ligne ! Après écoute, on est vite rassuré, la citation était tronquée. « Le capitalisme tel qu’il est aujourd’hui est incompatible avec la lutte contre le réchauffement. » Voilà qui est plus cohérent avec les propos habituels du scientifique. Dans son ouvrage d’entretien Climat. Parlons vrai (Les Pérégrines, 2020), il écrivait par exemple que le problème résidait dans « la libéralisation de l’économie », comme le problème du capitalisme réside dans ses « excès ». « Le capitalisme vert passerait-il donc par un retour à l’idée originelle du capitalisme? », lui demande son interlocuteur dans le livre. « Oui, ça passerait par un capitalisme équilibré. Pour moi, défendre une telle idée, ce n’est pas être de gauche ou de droite. […] Je ne suis pas anticapitaliste, certainement pas. […] » Le scientifique dépolitisé semble se désintéresser des analyses causales, et pas pressé de prouver rationnellement ce qu’il avance. Il décrédibilise et marginalise au passage la parole scientifique réellement politisée, qui passe dès lors pour biaisée.
Pourtant, excédé par toute cette inaction, il arrive au scientifique médiatique de se rêver à l’ombre du Prince, là où il pourrait raisonner avec lui et l’influencer. Alors il finit par s’engager, le seul sens qu’il sait donner à l’idée de politisation. Jean Jouzel a d’ailleurs cédé à l’appel : le cœur à gauche, il a fait montre d’un sens politique certain en soutenant Ségolène Royal, Nicolas Hulot, Pierre Larrouturou et Benoît Hamon… Mais la science progresse de ses erreurs ! En 2022, fatigué de ne soutenir que des perdants, Jean a décidé de rejoindre la campagne d’Anne Hidalgo.