Aujourd’hui, tout le monde est écolo, des libéraux aux réactionnaires. Le camp de l’émancipation ne peut plus se targuer d’être le seul sur ce terrain, et la bataille pour accaparer le « signifiant écologie » fait dorénavant rage dans le débat public. Dans ce troisième Écorama, on s’attarde sur le cas du pétainiste vert, cet adversaire localiste qui loue la beauté des paysages autant qu’il fustige les éoliennes… et l’immigration.
Un article issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Olga Prader.
N’en doutons pas, le « localiste » est un écolo. C’est au nom du paysage qu’il voue aux gémonies toutes ces éoliennes qui défigurent notre France éternelle, celle des clochers et des moulins qui ont le bon goût de ne pas tourner pour produire de l’électricité. Son rapport à l’écologie est esthétique : il a des pastorales plein les yeux et du Daudet plein la bouche. Il aime chausser des bottes pour la battue et flatter le cul des Limousines. Oui, le localiste est écolo, mais il n’en est pas moins identitaire. S’il arrive que, de loin en loin, l’un d’entre eux se laisse aller à une métaphore douteuse, le localiste le répète à l’envi : il n’est pas raciste. Il serait plutôt différentialiste. Il adore la diversité ! Les Zoulous, les Berbères, les Bataks, les Fuégiens : c’est très bien que le monde soit si bigarré ! Mais attention, toutes les civilisations ne se valent pas. Les Européens n’ont-ils pas inventé le fer à friser et l’obus de 75 ? Mais là où le localiste est hétérophile, il est aussi mixophobe : la diversité oui, le mélange non. Chacun chez soi ! Et n’allez pas lui faire remarquer que la consonance de ses héros, Jordan Bardella et Andréa Kotarac, ne rappelle que lointainement la souche Dupont et Desmarais.
Les animaux répondent à des logiques territoriales et adaptatives, n’est-ce pas ? Logiquement, les peuples humains sont adaptés à leur écosystème, à la « biorégion » qu’ils ont largement façonnée. L’un d’entre eux s’interroge avec candeur : « Est-il hérétique de dire qu’il y a quelque raison pour qu’un Congolais soit plus à l’aise au bord de son fleuve que dans les forêts de Haute-Savoie ? »1. Une version bucolique de la Blut und Boden Dichtung, la « poésie du sang et de la terre » élaborée par nos cousins Germains il y a un siècle. Chez nous, on disait plus sobrement que « la terre ne ment pas ».
Lorsqu’il s’agit de « penser global », le localiste révèle toute la complexité de sa pensée. Ainsi, ses capacités analytiques le poussent généralement à des conclusions remarquables telles que « c’est pas nous, c’est eux ». Car oui, la France ne représente que 1 % des émissions mondiales. Rien ! Alors que les Chinois ! Mais eux, on les admire un peu : ils savent gouverner leur peuple. Alors que l’Afrique ! Quand il pense gaz à effet de serre, le localiste ne pense pas mode de production, il pense démographie. Son obsession : la « bombe population » toujours prête à exploser depuis 50 ans ; son fétiche, le ventre des femmes africaines. Pas étonnant que localiste Renaud Camus soit aussi le théoricien du « grand remplacement ». Malheureusement pour lui, le localiste est l’idiot utile du fasciste. Celui-ci n’en a rien à faire des paysages bucoliques et des senteurs de lavande : seuls lui importent le pétrole et le gaz au service de la machine de guerre et du maintien du mode de vie occidental. Quand le fasciste aura fini de se faire passer pour l’ami des ruralités afin de prendre le pouvoir, il finira de détruire ce que le localiste avait cru chérir.
- Pierre Vial, dans Une terre un peuple. ↩︎