Les couples se font et se défont dans la villa capitaliste ! Depuis sa victoire à l’élection présidentielle, Donald file le parfait amour avec Elon. Jordan et Vincent, quant à eux, se serrent les coudes, tandis que Bernard et Jeff refusent de rester sur le banc de touche. Retour sur les alliances plus ou moins décomplexées par lesquelles l’extrême droite et le grand capital ont décidé, ces dernières semaines, d’unir leurs forces.
Décors kitch, pièces montées dégueulasses, discours chat-gépétesques, grivoiseries de caserne, orgie de symboles bourgeois… Assister à un mariage est déjà chose exécrable. Mais quand les époux sont, d’un côté, l’extrême droite et, de l’autre, le grand capital, la cérémonie n’est plus simplement pénible. Elle en devient cauchemardesque. « Je t’aime, Elon [Musk] », s’est enflammé Donald Trump le 6 novembre 2024, lors de son discours de victoire. Le 47e président américain a ainsi remercié pendant de longues minutes le fondateur de Tesla et SpaceX, tout en célébrant son « génie » et ses va-et-vient cosmiques : « Il a envoyé une fusée il y a deux semaines. Je l’ai vue, s’est-il extasié. Elle était d’un blanc éclatant. […] Elle est descendue si doucement et a été attrapée par des bras… comme lorsque vous tenez votre petit bébé. C’était magnifique ». Une déclaration d’amour à la hauteur de la dot versée. Pour faire réélire Donald Trump, Elon Musk aura dépensé près de 200 millions de dollars, mais aussi mis à disposition le réseau social X (ex-Twitter) dont il est propriétaire et organisé une loterie illégale. Depuis, les époux Trump et Musk convolent en justes noces : parties de golf, nomination à un poste de ministre pour le second, qui a même été convié par le premier à des conversations téléphoniques avec Volodymyr Zelensky, le président ukrainien.
Désarmer l’empire Bolloré
Cette union consommée entre un candidat raciste, sexiste, homophobe, transphobe, climato-négationniste et un milliardaire qui l’est tout autant, doit-elle être vue comme un excès dont seule est capable l’Amérique ? Malheureusement, le phénomène ne se limite pas aux États-Unis. En France aussi, nous avons notre lot d’attelages grotesques : Vincent Bolloré et le Rassemblement national (RN), par exemple.
Le milliardaire a ainsi mis lors des élections législatives anticipées son empire médiatique (CNews, C8, Europe1, Le JDD) en ordre de bataille pour faire accéder l’extrême droite au pouvoir, donnant lieu à une contre-offensive de plusieurs syndicats, organisations et collectifs, dont les Soulèvements de la terre, pour « Désarmer le groupe Bolloré ». À l’approche des fêtes, le pygmalion de l’extrême droite française tente désormais de réaliser un coup marketing en dopant la sortie du livre du président du RN, Jordan Bardella.
Si certains grands fortunés affichent un soutien de plus en plus décomplexé aux hommes politiques d’extrême droite, d’autres choisissent de ne pas insulter l’avenir, et optent pour de pudiques fiançailles. Ainsi du milliardaire et propriétaire d’Amazon Jeff Bezos, qui serait intervenu pour empêcher que le comité éditorial du Washington Post, journal dont il est propriétaire, ne se prononce en faveur de l’un des deux candidats à l’élection américaine (en l’occurrence, Kamela Harris), mettant fin à une tradition vieille de plus de 30 ans. Là encore, la France parvient à fournir une réplique cheap de l’exemple américain, cette fois en la personne de Bernard Arnault, comme le révèle une enquête publiée dans L’Obs : « il faut à tout prix éviter un Premier ministre de gauche », aurait insisté le patron de LVMH et propriétaire du Parisien et des Échos au moment de la nomination du gouvernement auprès d’Emmanuel Macron, convaincu qu’un Jordan Bardella (RN) placé à Matignon serait un moindre mal.
Les testicules du castor
Contrairement aux apparences, la bourgeoisie capitaliste n’est pas une classe homogène. En son sein, explique le militant libertaire Daniel Guérin dans Fascisme et grand capital (Libertalia, 2014 [1936]), des intérêts divergents peuvent exister en fonction de l’activité poursuivie, ce qui explique que certains groupes soutiennent plus ouvertement que d’autres l’extrême droite. Par exemple, les magnats de l’industrie lourde auront tendance, en période de crise, à soutenir une prise de pouvoir fasciste, c’est-à-dire à parier sur un État ultra-nationaliste, autoritaire et expansionniste sur le plan international.
Les compagnies métallurgiques et pétrolières escomptent alors relancer leur activité et leurs profits grâce à des commandes publiques d’armement, des contrats d’approvisionnement avec l’armée, mais aussi une production dans les usines menée à coups de trique. À l’heure où l’espace mondial semble saturé de tensions et où une poignée d’États impérialistes s’appuient à la fois sur leur puissance économique et leurs capacités militaires pour imposer leur domination sur le reste du globe, l’alignement de certains industriels sur des programmes agressifs et nationalistes se révèle conforme à leurs intérêts.
Pour expliquer le ralliement des autres franges de la bourgeoisie capitaliste aux idées d’extrême droite, le philosophe marxiste Antonio Gramsci mobilise quant à lui la fable du castor. Dans cette histoire, le castor est poursuivi par des chasseurs qui veulent lui prélever ses testicules, réputées pour leurs vertus médicinales. L’animal décide alors de son propre chef de se les arracher pour sauver sa peau. Ici, les bijoux de famille du castor représentent la démocratie libérale, que les classes dominantes prétendent chérir, mais qu’elles choisiront toujours de sacrifier si leur survie est en jeu – afin d’éviter, par exemple, un front social uni, voire une révolution. Alors que la fortune des dix milliardaires les plus riches du monde a bondi de 64 milliards de dollars dans la journée suivant l’annonce de la victoire de Donald Trump, les classes dominantes semblent avoir obtenu le feu vert des marchés pour se radicaliser – jusqu’à paver le chemin du fascisme ?