Aux états-Unis,L'administration écolo en dissidence
L'administration Trump s'est donné pour mission de mettre au pas l'Agence fédérale de protection de l'environnement (EPA) et d'orchestrer son impuissance. Dans un tel climat, des milliers de fonctionnaires ont préféré prendre la tangente, laissant leurs ex-collègues mener une guerre intestine contre les énergies fossiles.
TEXTE : VINCENT GAUTIER
Le 12 mars 2025 restera une date charnière pour les États-Unis. « Aujourd'hui est le plus grand jour de dérégulation que notre nation ait jamais connu », s'emballe Lee Zeldin, administrateur de l'Agence fédérale pour la protection de l'Environnement (EPA) fraîchement nommé par Donald Trump. Par le réexamen des réglementations qui « étranglent l'industrie pétrolière et gazière » et la remise en cause du rôle de l'EPA dans la régulation des émissions de gaz à effet de serre, Lee Zeldin affirme « enfoncer un poignard en plein cœur de la religion du changement climatique ». Dans la lignée des coupes menées au sein des différents départements de l'État fédéral, l'EPA devrait se voir amputer de près d'un quart de ses effectifs, passant de plus de 16 000 employés à moins de 12 500. Avec, comme cible privilégiée, le Bureau de recherche et développement, composé d'un millier de scientifiques menant des travaux sur le changement climatique, la pollution de l'eau ou les produits chimiques toxiques, qui devrait être purement et simplement éliminé. « Il est devenu clair que l'EPA ne se soucierait plus de protéger la santé des gens et l'environnement », résumait en mai dernier Nicole Cantello, présidente de la section locale d'un syndicat d'employés fédéraux.
Seule une minorité des postes supprimés a donné lieu à des licenciements. L'administration Trump s'est essentiellement appuyée sur deux autres outils pour organiser cet exode. Outre des départs à la retraite anticipée, les fonctionnaires se sont vu proposer à trois reprises un programme de « démission différée ». La dernière vague, qui a pris fin le 25 juillet, permettait à tous ceux souhaitant jeter l'éponge d'être payés jusqu'au 30 novembre au plus tard sans avoir à accomplir la moindre tâche pour l'Agence.
Silence et anonymat
Avocat spécialisé dans l'application des lois environnementales, Gary Jonesi ne se berçait d'aucune illusion. Il a pris la décision de claquer la porte de l'EPA dès le 5 novembre 2024, le jour de l'élection de Donald Trump, mettant un terme à près de 40 ans de service. Dans la foulée, il a fondé CREEDemocracy, une ONG chargée de promouvoir les énergies renouvelables. Jonesi ne s'attendait toutefois pas à ce que « les choses tournent aussi mal » et il confessait en début d'année « avoir de la peine pour ses anciens collègues ». Mais parmi ceux qui ont choisi de poursuivre leur route au sein de l'Agence, tous ne se sont pas pliés aux nouvelles règles du jeu. Le 25 mars, il y a d'abord eu une « journée nationale d'action », qui a rassemblé des centaines d'employés de l'EPA à Philadelphie, New York, Dallas ou Boston contre la trumpisation de l'Agence. L'opposition a aussi pris la forme d'une résistance passive. Encouragés dans un mail à signaler les programmes de DEI (diversité, équité, inclusion) que la nouvelle administration s'est promis de liquider ainsi que les personnes qui en auraient la charge, les agents de l'EPA ont gardé le silence. Trois mois après l'investiture de Donald Trump, pas un seul employé n'avait succombé à l'injonction de dénonciation, comme l'a révélé le média d'investigation américain ProPublica.
Mais gare à qui prendrait le risque d'afficher ouvertement son insoumission. Le 30 juin, plus de 170 fonctionnaires de l'EPA ont accolé leur nom à une « déclaration de dissidence » adressée à Lee Zeldin, accusant notamment l'administrateur de « mettre en danger la santé publique et de saper les progrès de la science, non seulement en Amérique, mais dans le monde entier ». Le texte comptait une centaine d'autres signataires anonymes, par peur des représailles. Et ces dernières n'ont pas tardé. Quelques jours plus tard, l'EPA annonçait placer 139 des signataires en congé avec solde pendant deux semaines, et l'ouverture d'une enquête administrative. « L'Agence de protection de l'environnement applique la tolérance zéro envers les bureaucrates de carrière qui sabordent, sabotent et compromettent en toute illégalité le programme de l'administration voté par le grand peuple de ce pays en novembre dernier », justifiait officiellement l'EPA. Cette riposte a en partie eu l'effet dissuasif escompté. Certes, fin juillet, la « déclaration de dissidence » comptait désormais la signature de 620 fonctionnaires. Mais tous, sans la moindre exception, avaient alors opté pour le recours à l'anonymat.