Avec son discours éco-nationaliste et pro-décarbonation frais émoulu, le Rassemblement national voudrait faire croire qu’il a pris au sérieux la question écologique. Mais en arrière-boutique, la réalité est beaucoup moins verte. Entre déni, approximations et enfumage, la réalité laisse surtout transparaître un discours démagogue qui tente de dissimuler son adhésion au colonialisme fossile.
Cette enquête est issue du deuxième numéro de Fracas.
«Je crois vital que nous, le camp national, ne nous comportions pas [avec l’écologie] comme la gauche se comporte à l’égard de l’immigration depuis trente ans, c’est-à-dire dans une forme de déni», proclame Jordan Bardella face au journaliste Hugo Clément, lors d’un débat organisé par Valeurs actuelles en avril 2023. Alors que Jean-Marie Le Pen portait son climato-scepticisme en étendard, qualifiant le changement climatique de «dogme» destiné à «terroriser les populations», le Rassemblement national met en scène son tournant et se présente en nouveau Champion de la Terre. Depuis quelques années, le voilà qui se redéfinit comme «éco-nationaliste», et professe une «écologie patriotique» dans laquelle la protection de la nation française deviendrait un antidote à la destruction de l’environnement. «C’est par le retour aux frontières que nous sauverons la planète», résume ainsi Jordan Bardella. Le parti d’extrême droite n’a «aucune ambition de rester avec le gaz et le pétrole», assurait aussi Jean-Philippe Tanguy, spécialiste des questions énergétiques pour le RN, auprès de l’AFP. «D’ailleurs, on électrifie tout.»
Mais il suffit de gratter la couche de vernis vert pour se confronter à des oscillations allant de l’approximation au déni. Notamment lorsqu’il est question d’énergies renouvelables: au printemps 2019, le parti lance une campagne spécifique contre les éoliennes, qualifiées de «pollution sonore et visuelle» et de «drame pour l’environnement». La même année, on peut entendre Marine Le Pen comparer: «Les migrants, c’est comme les éoliennes. Tout le monde est d’accord pour qu’il y en ait, mais personne ne veut que ce soit à côté de chez lui.» Des propos maintenus lors des élections législatives de 2024, avec la proposition d’un moratoire portant sur la construction de tout nouveau projet éolien ou photovoltaïque. «Je veux arrêter les énergies renouvelables, parce que ce n’est pas propre et en plus, c’est alternatif», affirme Marine Le Pen le 5 juin.
Dans son contre-budget pour 2025, le RN trouvait une part conséquente de ses économies du côté des dépenses environnementales: baisse du fonds vert destiné à accélérer la transition écologique dans les territoire, des subventions aux énergies renouvelables, internalisation de tous les opérateurs gouvernementaux travaillant à la protection de la biodiversité ou à la transition énergétique, refus de fiscalité environnementale, baisse des taxes sur les carburants…
Côté lutte contre les énergies fossiles, ce n’est guère plus glorieux. Au plus fort de la guerre en Ukraine (1), les eurodéputés du RN et de Reconquête ont voté contre les amendements organisant l’embargo sur le gaz, le pétrole et le charbon russes. En parallèle, le Rassemblement national s’est aussi opposé à la taxation des superprofits des géants du pétrole, gaz et charbon.
Un éco-nationalisme nucléarisé… et fantasmatique
Objections balayées d’un revers de main par un parti qui a trouvé la solution à tous les problèmes écologiques: le nucléaire. Le plan du RN, s’il arrive au pouvoir? Construire une vingtaine de réacteurs, les dix premiers devant être prêts entre 2033 et 2038. La défense de l’atome a en effet un avantage considérable dans la logique du parti: pouvoir être facilement grimée en patriotisme. «Le sujet [de l’énergie] devient identitaire et utile au RN avec la crise énergétique et la possibilité de brandir le nucléaire comme une fierté nationale», analyse le consultant Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie du think-tank Terra Nova et auteur d’une note démontant point par point le programme énergétique du parti d’extrême droite. Dans le récit mythique de l’extrême droite française, le nucléaire civil, c’est De Gaulle, l’indépendance énergétique et l’excellence industrielle française réunis. C’est d’ailleurs pour cette raison que, selon le Zetkin Collective, la France est le seul pays où un parti politique d’extrême droite important a développé une communication sur l’écologie.
Alors que l’EPR de Flamanville vient d’entrer en service avec 12 ans de retard, il est permis de douter de la faisabilité d’un tel programme et de la promesse formulée par Jordan Bardella de «refaire de la France un paradis énergétique». «Même les plus férus de nucléaire ne parient pas sur tant de réacteurs en un temps si court. Ce n’est pas tenable, assure Nicolas Goldberg. Dans le domaine de l’énergie, conservatisme et souverainisme ne vont pas très bien ensemble. Le RN est très conservateurs sur le chauffage au fioul, le véhicule thermique, la performance énergétique des bâtiments… En conjuguant ces éléments, on reste dans une dépendance accrue aux énergies fossiles.» De fait, le Rassemblement national ne cache pas son attachement à la voiture, ni son opposition à l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs en 2035.
« Le capitalisme fossile est en crise, la seule chose qui peut le faire durer, c’est un régime autoritaire »
«Le parti vit très bien avec ses contradictions, corrobore le politologue Stéphane François, auteur de Les Vert-bruns. L’écologie de l’extrême droite française (Le bord de l’eau, 2022). L’énergie et l’environnement n’intéressaient pas le FN, et ils n’intéressent pas le RN. Certes, ils ont repeint leur nationalisme en vert, adopté un discours sur les paysages d’antan et contre la France moche… Mais il faut avoir à l’esprit que le RN est avant tout démagogue.» Et lorsque Marine Le Pen abandonne ses propos climatisceptiques (2), «c’est une prudence discursive qui est stratégique».
Les patrons séduits
Ce flou artistique a l’avantage de ménager les milieux d’affaires et énergétiques, notamment au sein de l’industrie fossile, dans laquelle le RN peut compter sur des soutiens importants. Le député RN Jean-Philippe Tanguy ne s’en cache pas : devant le PDG de Total Patrick Pouyanné, auditionné dans le cadre de la mission flash sur les super-profits à l’Assemblée nationale en septembre 2022, il a tenu à «saluer la performance de Total, grande entreprise française dirigée par des patriotes». Sur le fond, le modèle de TotalEnergies et celui du RN se marient très bien. «Total est assis sur les restes de l’empire colonial français, et ce n’est pas le RN qui va les blâmer, analyse le journaliste de Mediapart Mickaël Correia, auteur de Criminels climatiques. Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète (La Découverte, 2022). Ils savent très bien que leur programme implique de continuer à importer du gaz et du pétrole : ça n’entre pas en contradiction avec leur pensée coloniale. Il va falloir continuer à extraire de l’énergie ailleurs, à rebours des risques climatiques et des droits humains.»
Le RN tire depuis longtemps sur la manche des grands patrons. Ce qui est nouveau, c’est la façon dont certains parmi eux, auparavant allergiques aux idées frontistes, scrutent aujourd’hui de près la progression du tandem Le Pen-Bardella. Lors de déjeuners de moins en moins discrets, Marine Le Pen a ainsi rencontré Henri Proglio, l’ancien patron de Veolia et d’EDF, ou encore des membres de la direction de Total Energies. Pour le sociologue spécialiste du monde de la finance Théo Bourgeron, l’attrait des patrons – et notamment de ceux du secteur de l’énergie – pour une extrême droite sur laquelle il faut désormais compter politiquement se manifeste à deux niveaux: «D’abord, celui des institutions et des régulations. Ensuite, celui d’une transformation globale de l’économie et des groupes sociaux, qui peut leur profiter.» Parmi les promesses attrayantes du RN, une baisse de la TVA sur les carburants fossiles qui permettrait aux grands groupes du secteur d’augmenter leurs marges et leurs volumes ; un retour sur la réglementation européenne interdisant moteurs thermiques d’ici à 2035 ; la fin du diagnostic de performance énergétique pour la location des passoires thermiques ou encore un moratoire sur les éoliennes.

Mais l’attrait est aussi idéologique, et certains milieux patronaux adhèrent plus franchement au projet frontiste et à une bascule vers un régime politique autoritaire. Vincent Bolloré illustre à merveille ce phénomène : le milliardaire, dont l’activisme d’extrême-droite n’est plus à démontrer, est aussi un grand patron du secteur des énergies fossiles à travers Bolloré Energy, qui gère des dépôts de carburant en France et en Europe. Pour Théo Bourgeron, la fortune fossile de Bolloré induit le reste de son patrimoine et de son influence : «Certaines de ses infrastructures, comme les ports en Afrique, sont des monopoles. Les dépôts pétroliers sont aussi des quasi-monopoles naturels. Détenir ces infrastructures implique donc d’avoir une présence politique. Avec sa fortune du fossile, Bolloré peut acheter des groupes qui lui donnent une présence politique, qui permettent de déployer une fortune dans les médias, la communication, l’édition.»
Cette convergence d’intérêts est évidente pour Mickaël Correia: «Le capitalisme fossile est en crise, la seule chose qui peut le faire durer, c’est un régime autoritaire.» À l’inverse, une transition énergétique juste nécessiterait de se poser «une question centrale, que déteste l’extrême droite: celle de la démocratie». Dans ce cadre, pourrait advenir un large débat concernant nos besoins énergétiques, qui prendrait en compte la justice sociale, circonscrirait les émissions de subsistance et, à partir de cela, permettrait de poser la question de la production de cette énergie. «Ce serait une forme d’antifascisme énergétique. Sortir des énergies fossiles serait, en soi, un geste antifasciste.»
Notes de bas de page :
(1) Vote en plénière du Parlement européen de la résolution sur l’agression russe contre l’Ukraine, amendement sur le paragraphe 17, 1er mars 2022.
(2) CheckNews (Libération) a retrouvé l’archive d’une interview donnée par Marine Le Pen au média en ligne Terra Eco en février 2012, à l’occasion de sa première campagne présidentielle. À la question «Les changements climatiques n’existent pas ?», la candidate répond : «Ce n’est pas ce que je dis. Je ne suis pas sûre que l’activité́ humaine soit l’origine principale de ce phénomène.»
(3) Théo Bourgeron, «Finance, énergies fossiles, tech : ce patronat qui soutient l’extrême droite par intérêt», AOC, 5 juillet 2024.