17 juillet 2025

Les luttes écologiques vont-elles survivre aux deepfakes ?

Militants et militantes écolos avaient-ils besoin d’être davantage caricaturés, raillés, décrédibilisés ? Pas vraiment. Le paysage médiatique et la classe politique s’en chargeaient déjà très bien tout seuls jusqu’ici, dans un exercice collectif de greenbashing chorégraphié à la perfection, où le cynisme le dispute à la mauvaise foi. Mais dorénavant, leur vie va être encore plus facile grâce à l’intelligence artificielle – elle tient décidément toutes ses promesses.


C’est l’autoroute de toutes les misères, l’A69, qui nous donne un aperçu de ce qui nous attend. Depuis une semaine, des vidéos générées par IA de quelques secondes circulent sur YouTube et TikTok, mettant en scène des opposants à l’A69 imaginaires au micro d’un journaliste fictif. Ils n’ont rien à dire, sont bêtes, bobos, urbains, déconnectés, voire menteurs et cyniques. L’une refuse l’autoroute mais habite à Paris, l’autre traite ses opposants de fachos pour éviter la contradiction, une dernière est anti-autoroute, mais aussi anti-train, anti tout. Pour couronner le tout, des tee-shirts arborant les slogans «RSA Love» et «APL Love».

Derrière ce compte, Antony Frandsen, manager de magasin de e-cigarettes, résident de Castres, fondateur d’un groupe pro-A69, et relai de la parole de la propagande autoroutière sur CNews. Sur son compte TikTok, deux de ces vidéos «parodiques» ont été vues plus de 60 et 90 000 fois, suscitant un déferlement de commentaires moqueurs ou haineux, où sont  noyés ceux qui indiquent que la vidéo est générée par IA.

Vague de contenus haineux

Relativement anodin à ce stade, ce type de vidéos croît à la vitesse de l’éclair depuis la sortie en grande pompe de VEO-3 par Google, qui ouvre la voie à la «démocratisation» de la génération de vidéos par IA… et au deepfake de masse. Ces contrefaçons numériques, connues du grand public depuis le faux discours d’Obama en 2017, sont devenues virales en l’espace de quelques semaines. L’une des premières utilisations spontanées qui en a été faite a été la génération de faux micros-trottoirs dont le seul défaut était d’être «trop beaux pour être vrai» – on attend la prochaine mise à jour…

L’outil a surtout été immédiatement utilisé pour générer des contenus racistes et réactionnaires, jusqu’à inonder TikTok. Au point que de nombreux experts anticipent déjà que l’outil pourrait devenir déterminant pour attiser des émeutes et conflits partout dans le monde.

Google se contente pour l’instant de minimiser les risques et de mettre en place des garde-fous à base de watermark indiquant que le contenu est généré par IA – non seulement très discrets mais facilement masquables.

La bataille perdue de l’IA générative

Pour les militants écolos, comme pour le reste de la gauche, le danger est imminent.

  • La dimension la plus évidente du problème est que l’IA générative permet de générer le réel qui manquait jusqu’ici et de donner corps aux fantasmes réactionnaires en vogue. Wokes décérébrés, écoterroristes énervés, musulmans radicalisés… S’ils n’existent pas, on peut maintenant les inventer. 
  • La diffusion de ces vidéos ne peut qu’intensifier un peu plus la polarisation déjà intense sur les réseaux sociaux, justement parce qu’elle vient incarner de manière maximale des positions idéologiques, sans mélange, «chimiquement pures».
  • La massification des deepfakes va terminer d’éroder la confiance dans les contenus en ligne : que croire, qui croire, à quoi m’intéresser dans cette avalanche d’informations choquantes ? Le chercheur Henk van Ess a confié au Time avoir tenté l’expérience de monter un «fausse histoire» de toute pièce avec Veo-3… et n’avoir eu besoin que de 28 minutes. «On parle de pouvoir potentiellement fabriquer des douzaines de scandales chaque jour.»


Sans trop préjuger de la suite et de potentielles régulations, il semble désormais trop tard pour éviter de prendre cette vague de plein fouet. Phénomène peut-être inédit dans l’histoire du numérique, on voit mal comme la gauche en ligne pourrait se «réapproprier» cette technologie, à moins de se faire à son tour l’apologue du mensonge généralisé. On peut comprendre les appels de certains militants de la gauche en ligne, à l’instar du Tréma, à vouloir mener la «bataille culturelle de l’IA» et ne pas la laisser à l’extrême droite. Malheureusement, sur ce terrain, on ne pourra jamais ferrailler à armes égales.

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