21 mai 2025

La Palestine, stade terminal du Capitalocène

Dans l’ombre du massacre des Gazaouis, que l’Élysée se refuse toujours à qualifier de génocide, un écocide méthodiquement opéré par le Tsahal pourrait avoir raison de toute vie sur le territoire palestinien. À un tel niveau de destruction, ce crime n’est pas seulement un crime contre l’humanité, mais contre l’avenir : l’écocide n’est plus seulement une arme dans le répertoire colonial mais un futuricide. Qui nous concerne tous, pour les temps présents et pour ce qu’ils augurent.


Emmanuel Macron vient de rejoindre une coalition de pays occidentaux pour forcer Israël à mettre fin à ce qui ne sera toujours pas qualifié de génocide par l’Élysée, mais d’« actions scandaleuses ». Il aura fallu les images de famine, que redoutait le gouvernement Netanyahu, et 53 000 victimes civiles palestiniennes – en réalité plusieurs centaines de milliers si l’on comptabilise les morts indirectes, selon les projections d’une étude parue dans la revue scientifique The Lancet – pour obtenir cette timide réponse. Trop peu, trop tard ?

Si les mâchoires du piège à loup tendu aux Palestiniens  – partir ou mourir – par le gouvernement Netanyahu sont presque refermées, une lueur d’espoir vient peut-être de s’allumer pour empêcher l’extermination totale de la population gazaouie ou sa déportation massive. Cependant, les survivants auront-ils encore un avenir si les opérations militaires israéliennes s’arrêtent – ce qui est encore loin d’être assuré ? Dans l’ombre des massacres, l’écocide méthodique opéré par Tsahal pourrait avoir raison de toute vie sur le territoire palestinien.

Un écocide inédit

Dans un entretien donné à Reporterre, l’historienne et politiste Stéphanie Latte Abdallah, qui a dirigé l’ouvrage collectif Gaza, une guerre coloniale (Actes Sud, mai 2025), rappelle quelques données essentielles.

– Des bombes de deux tonnes ont été employées, ainsi que des bombes au phosphore, et ces tirs qui ont pénétré en profondeur ont généré une pollution durable ;

– Les bombardement ont généré cinquante millions de tonnes de gravats ;

– 70 % des zones agricoles ont été rasées (sans oublier les inondations des galeries souterraines à l’eau de mer qui nuiront à l’approvisionnement en eau et à la fertilité future des sols) ;

– entre 70 et 80 % des terres cultivables ont été détruites, de même que les fermes, les puits, les serres, les systèmes d’irrigation (certaines infrastructures ont été rasées méthodiquement, à l’aide de bulldozer) ;

– les infrastructures industrielles endommagées relâchent et continueront de relâcher des produits toxiques dans l’environnement ;

– Les usines de traitement de l’eau ne sont plus totalement fonctionnelles ;

– 83 % des végétaux ont été détruits ;

– L’intégralité du bétail a été décimée…

En résumé : les sols, les eaux et l’air sont pollués à des niveaux effarants, et continueront de l’être pour longtemps. La capacité à assurer une production vivrière a été quant à elle anéantie, notamment les plantations d’oliviers, symbole communautaire autant que pourvoyeuses de nourriture et de revenus pour les populations palestiniennes, condamnée à la déportation au risque de devoir errer sur des terres transformées en cauchemar, y survivre et plus certainement, y mourir. 

La destruction des futurs

À un tel niveau de destruction, ce crime n’est pas seulement un crime contre l’humanité mais contre l’avenir, l’écocide n’est plus seulement une arme dans le répertoire colonial mais un futuricide. Dans cette perspective, l’écocide devient un outil au service de l’impérialisme : en déchirant le tissu vivant, en sapant les possibilités même de subsistance d’une population, il la prive de son autonomie, c’est-à-dire de sa capacité à écrire son propre avenir.

En cela, Andreas Malm a raison de dire que « la Palestine apparaît comme un signe des temps présents, mais aussi de l’avenir qui nous attend », et de tracer un parallèle entre la destruction de ce territoire et la destruction de la planète. Le capitalisme écocidaire n’est-il pas finalement une vaste entreprise de spoliation de l’avenir de l’espèce en sapant l’autonomie des sociétés, jusqu’à détruire complètement leur lien organique avec les écosystèmes vivants ?

Le président colombien Gustavo Petro n’a pas hésité à déclarer que ce qu’il se passe à Gaza est ce à quoi les pays du Sud seraient confrontés dans un futur très proche. On pourrait ajouter que les pays du Nord, dans une moindre mesure, partagent ce destin, chaque année plus artificialisés, aridifiés, stérilisés, transformés en hinterlands pour servir l’économie-monde. 

Pour la Palestine comme pour la Terre

De la même manière que le colonialisme de peuplement emploie l’écocide pour détruire avant de reconstruire selon les objectifs qu’il s’est fixés, le capitalisme, organiquement et historiquement colonial, emploie l’écocide pour redessiner les terres, la Terre, selon ses besoins. La projet de Trump de transformer la Palestine en « Riviera » prend ici tout son sens : la création de toute pièce d’un territoire spécialisé, mort, sans histoire, sans vie, animé seulement du mouvement des capitaux.La lutte écologique n’est pas seulement une lutte contre le capitalisme, elle est un combat à mort entre nos futurs et le Futur qui voudrait nous être imposé. Entre l’infatigable recherche du « comment nous pourrions vivre » et l’injonction impitoyable « comment nous devons vivre », si tant est qu’il nous est encore autorisé de vivre. Alors que la bourgeoisie verte se rêve déjà en arme contre les ennemis qu’elle se choisit opportunément, elle ferait bien de tourner son regard vers la Palestine et d’en soutenir la vue, car elle est bien un signe de l’avenir qui nous attend, le Capitalocène parachevé.

Plus d’articles