Depuis plus d’une décennie, Total, devenu TotalEnergies, cherche à s’imposer comme la multinationale fossile à la hauteur du XXIe siècle. Au menu : une diversification des énergies, le soutien aux accords de Paris et à une politique de « transition ». Mais attention, toujours avec « réalisme » et sans mettre en péril la continuité des investissements fossiles dans le monde… Figure de ce « tournant » stratégique, Patrick Pouyanné, PDG de l’entreprise, et récemment érigé au sommet du podium du classement des « meilleurs » dirigeants du CAC40 par le cabinet de communication VCOMV.
Entreprise du futur, Total l’est certainement… Mais d’un futur aux couleurs carbofascistes. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Patrick Pouyanné a multiplié les déclarations qui rappellent combien l’industrie fossile est historiquement une alliée des gouvernements autoritaires – or noir et peste brune. Florilège.
« Il est peut-être temps de reprendre l’exploration du golfe d’Amérique »
(cité par Le Monde)
- D’une pierre, deux coups : avec cette déclaration tenue au CERAWeek, la grand-messe du lobby fossile états-unien qui s’est tenue le mois dernier, Patrick Pouyanné loue l’impérialisme de Donald Trump, dont l’une des premières mesures aura été de renommer le golfe du Mexique en « golfe d’Amérique », et révèle son intention : relancer les projets de Total stoppés par l’administration de l’ex-président Joe Biden dans une zone dévastée par la marée noire de Deepwater Horizon, en 2010. Allégeance immédiatement récompensée : les travaux sur un terminal de gaz naturel liquéfié appartenant au groupe français, bloqués par la justice, ont pu reprendre, tandis que l’administration américaine a approuvé un prêt de cinq milliards de dollars pour un pipeline controversé au Mozambique.
« Au fil des années, un État profond s’est créé en France. »
(Le Figaro)
- Patrick Pouyanné reprend à son compte un élément clef du discours de l’alt-right états-unienne. La dénonciation d’un État profond a été un des chevaux de bataille de la campagne de Donald Trump, présentant l’administration américaine, aux côtés de la justice, comme des pouvoirs internes à l’État conspirant contre la volonté populaire. La version française : les fonctionnaires n’auraient plus confiance dans le personnel politique et refuseraient d’agir, formant une administration qui, selon le PDG, « a tendance à compliquer les choses ». Donald reconnaîtra les siens.
« L’avantage du DOGE d’Elon Musk, c’est qu’il oblige à repenser tout. »
(Le Figaro)
- Conséquence logique de la dénonciation de l’État profond : nettoyer l’administration récalcitrante. Rien de surprenant dès lors à le voir célébrer la figure libertarienne par excellence, Elon Musk, qui entre deux saluts nazis dépèce méthodiquement le corps étatique américain grâce à la cellule spéciale mise en place à l’élection de Trump, le Department of Government Efficiency (DOGE). De quoi faire plaisir aux journalistes du Figaro, qui semblent émerveillés de ces déclarations si iconoclastes.
« Je suis surtout la cible d’un certain système médiatique parisien. Quand je vais en province, on m’encourage. »
(Le Figaro)
- « Papou », comme le surnomment ses proches, comme les personnalités politiques de l’extrême droite, est la cible d’un système médiatique particulièrement hostile car urbain et déconnecté. Étrange dès lors de constater que l’étude qui le classe meilleure patron du CAC40 se fondent sur les notes accordées par… 170 journalistes. Le Figaro redouble même de preuves d’amour envers le PDG, le présentant comme « droit dans ses bottes », « dirigeant d’entreprise passionné, lucide, mais ferme dans ses convictions », « bourreau de travail », presque l’égal des chefs d’État qu’il côtoie au quotidien.

« La renaissance du courage des leaders passe par une vision collective qui entraîne nos concitoyens, même si cela peut leur faire peur. »
(L’Opinion)
- Patrick Pouyanné parle-t-il de lui-même ? Ou bien parle-t-il de Trump ? Cette phrase qui pourrait passer pour sortie d’un manuel d’histoire du fascisme reste floue quant à sa cible. Au moins permet-elle de méditer le fantasme carbofasciste à l’œuvre : la fin du multilatérialisme sonnant le retour des grands blocs s’affrontant dans des logiques impérialistes. La phrase suivante le confirme : « Une véritable Europe unie et souveraine, une Europe du digital, une Europe de l’énergie, une Europe des capitaux, une Europe de la Défense, voilà une vision courageuse. » Quoi de meilleur pour l’Europe qu’un trumpisme sans Trump ?
« Le principe de précaution est le pire des principes qu’on ait jamais inventé. »
(au Forum INCYBER Europe, Lille, avril 2025)
- Patrick parle ici de l’intelligence artificielle, dont il ne comprend pas qu’elle fasse peur, puisqu’on va s’y adapter. Comme à tout progrès technique, d’ailleurs, puisque c’est de là que le salut viendra. « Papou » n’a pas oublié les fondamentaux : pour un empire fossile, la précaution est très certainement le pire des principes.