Un éditorial de Philippe Vion-Dury à retrouver dans le troisième numéro de Fracas.
Comment réprime-t-on un mouvement de contestation politique ? En gagnant l’indifférence de la majorité de la population. Et comment encourage-t-on l’indifférence ? En marginalisant l’opposition. Il y a deux espèces de marginaux : le folklorique et le dangereux. L’écolo, en quelques années, est passé du premier au second, de doux rêveur à « écoterroriste » en puissance. Comment opère-t-on pareille marginalisation ? Grâce à la complicité des médias dominants, grands ordonnateurs du débat
public et receleurs d’antagonismes sociaux. Nous n’avons pas affaire à un backlash, un retour de flamme ordinaire, mais à une action coordonnée des classes dominantes pour préserver leurs privilèges. Tout est permis en matière de détournements, la honte ne fait pas partie de leur vocabulaire. Les agriculteurs poussent des cris de désespoir ? Ce n’est pas la faute d’une politique agricole néolibérale, mais celle des écolos et des normes qu’ils veulent imposer. Des centaines d’emplois ouvriers sont menacés par l’interdiction des « polluants éternels » ou la délocalisation d’usines émettrices de CO₂ ?
Ce n’est pas la faute des mensonges de l’industrie, de leurs stratégies de dumping social, mais, à nouveau, celle des écolos. On l’a compris : les écolos sont l’anti-peuple, l’anti-France, les annonciateurs de la civilisation des graines et du soja, du vélo-cargo et des pulls qui grattent. Si nous en sommes là, c’est que la première stratégie qu’avaient déployé nos adversaires a échoué. Sachant pertinemment que les mouvements de contestation gagnent en puissance lorsque les militants radicaux s’entendent avec les franges modérées, ils ont d’abord tenté d’isoler les premiers en négociant avec les secondes. Mais voilà qu’il a pris à ceux-là aussi de se radicaliser devant les impérities et les hypocrisies trop manifestes des gouvernants.
Alors puisque la carotte n’a pas fonctionné, voici venu le temps de la matraque médiatique et étatique. Comment échapper à ce piège ? L’un des impératifs est de déjouer ces récits, mettre à bas ces faux antagonismes. C’est là que l’« ouvrier », le « paysan », le « rural » entrent en jeu. Et « le » chasseur aussi. Certains chasseurs, du moins, parmi le petit million de licenciés et une pluralité de chasses allant des plus détestables à des chasses vivrières et paysannes, autour desquelles le tissu social se maintient dans des territoires ruraux. Les alliances que nous devons nouer sont peut-être là.
Nous ne demandons pas aux écolos de retourner à l’établi, de bêcher la terre, de devenir des néoruraux. Nous ne leur demandons pas davantage de prendre le fusil ou de taire leurs désaccords. L’alliance est un accord sur fond de différences ; le dialogue nécessite deux points de vue distincts. La réponse à notre isolement croissant n’est pas d’universaliser notre point de vue ni de s’enfermer dans nos certitudes, mais de s’ouvrir à une pluralité de réalités sociales et de rapports à la nature, des altérités avec lesquelles il faut bien composer même lorsqu’elles nous dérangent ou que nous y trouvons à redire. Il ne s’agit ni de s’allier à n’importe qui, ni à n’importe quel prix, mais d’examiner nos tabous et de se demander s’ils sont vraiment justifiés. S’il n’y a pas, là, la possibilité d’une alliance.