8 janvier 2025

Écorama (4/5) : l’ingénieur forcené

Aujourd’hui, tout le monde est écolo, des libéraux aux réactionnaires. Le camp de l’émancipation ne peut plus se targuer d’être le seul sur ce terrain, et la bataille pour accaparer le « signifiant écologie » fait dorénavant rage dans le débat public. Nous avons choisi de vous présenter certains de nos adversaires. Pour ce quatrième épisode d’Écorama, en voici un particulièrement confiant : c’est bien simple, ce camé au progrès technique a réponse à tout ! Voici l’ingénieur forcené.

Un article issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Olga Prader.


On reconnaît l’ingénieur radicalisé à une chose : il a la solution à nos problèmes, et cette solution est technologique. Son univers mental étant unidimensionnel, l’ingénieur radicalisé présente de sévères tendances monomaniaques. Quand il en vient à la catastrophe écologique, il est persuadé que tout ça n’est qu’affaire de questions énergétiques. Exit les énergies fossiles, place aux énergies « vertes », aussi carbon free que le Coca est zéro. Avions à hydrogène, fusion nucléaire… Maniaque, donc, l’ingénieur forcené est aussi un camé : il lui faut toujours un nouveau technofix dès que la dose précédente ne fait plus effet. Prenant son simplisme pour de la lucidité, il voit l’histoire humaine en phases technologiques. Depuis le « choix du feu », il y a eu un grand rien, puis enfin l’âge du charbon, puis l’âge du pétrole, et maintenant les atomes qu’on sépare ou qu’on fusionne. Sa conscience soulagée de l’effort de penser, il peut dire contre toute preuve historique que la démocratie, c’est le pétrole, et que sans pétrole, point de démocratie. Syllogisme bien pratique puisque l’ingénieur radicalisé est un technocrate : s’il connaissait l’existence d’Auguste Comte et de Saint-Simon, il rêverait avec eux de remplacer le « gouvernement des hommes par l’administration des choses ».

De techniques rhétoriques, l’ingénieur forcené n’est jamais avare. Le faux dilemme, par exemple : vous êtes contre le « progrès technique » ? Vous êtes donc pour le retour à la bougie, mon bon monsieur. Si jamais il se trouvait mis en porte-à-faux, il lui resterait toujours le recours au langage savant. L’avalanche de données chiffrées et de mots complexes, glissant d’un sujet à l’autre, dévalant avec un aplomb imperturbable, ne laisse rien à quoi se raccrocher. La pauvre victime finit ensevelie sous sa propre ignorance.

L’ingénieur peut évoluer. Il a même une forme finale : le géo-ingénieur. Contre le dérèglement climatique (car il ne saurait concevoir la catastrophe au-delà de la variable CO2), le géo-ingénieur a une botte secrète : coller un thermostat au système Terre, qu’il veut refroidir à coup de ballons de soufre dans la haute atmosphère. N’oubliez pas que c’est un forcené : laissez-le entrer dans le cockpit du vaisseau Monde, et vous pouvez être certain que rien ne l’en délogera. Heureusement, il est encore un peu vu comme un « apprenti sorcier ». En attendant d’être vraiment écouté, il ronge son frein en demandant des moratoires sur la modification de la réflexion solaire planétaire : la science n’est pas prête, nous devons expérimenter d’abord ! Mais dans les sommets climatisés et les salons feutrés de la philanthropie internationale où il est parfois convié, son discours rencontre une audience de plus en plus amicale. Business must go on ! Si le géo-ingénieur parvenait à figer la température terrestre, on lui érigerait des statues à Wall Street. Dans la brume de sa manie, il ne voit pas le problème. Tel le fou, il refuse de faire sienne cette loi d’airain : les mêmes causes produisent invariablement les mêmes effets. 

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