Éleveuse de lamas en Ariège, Laurence Marandola est également porte-parole de la Confédération paysanne. Pour la syndicaliste, qui appelle à renouer le dialogue entre agriculteurs, seule une « rupture systémique » avec le capitalisme néolibéral permettra l’émergence d’une écologie vraiment populaire.
Un entretien d’Amélie Quentel issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Luis Mason.
Vous avez vécu seize ans en Bolivie et entamé l’écriture d’une thèse auprès de populations indigènes. L’internationalisme a-t-il été votre porte d’entrée dans la lutte écolo ? Comment cet engagement s’incarne-t-il dans votre quotidien de paysanne ?
Mes premiers engagements sont en effet liés à l’internationalisme, qui ne peut se déployer que dans le respect du vivant et donc de tous les peuples et paysans. Quand je vivais en Bolivie, j’ai vu des communautés indigènes subir les affres de la colonisation et du marché néolibéral. L’Europe a mis en place des politiques coloniales et impérialistes qui sont largement responsables de la situation socio-économique et des difficultés des pays du Sud, qui sont durement frappés par le réchauffement climatique. Constater cela a accéléré ma prise de conscience, qui se traduit au quotidien dans le type de ferme que j’ai créée : bio, productions adaptées au milieu naturel… Cela étant dit, je n’ai pas la sensation que mon engagement soit écolo : il est plutôt global et paysan.
Quelle est votre vision de l’écologie populaire et comment réussir à la faire vivre au sein du monde agricole ?
Il n’y a pas d’écologie si elle n’est pas populaire, c’est-à-dire pour et avec tout le monde. Or, l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le monde agricole tient à la multiplicité des modèles en son sein, qui sont souvent en concurrence. Certains sont même prédateurs d’autres : je parle ici de l’agro-industrie vis-à-vis de l’agriculture paysanne ou de l’agroécologie. Faire émerger une vision de l’écologie acceptée par l’ensemble des agriculteurs est donc une tâche d’une grande complexité, d’autant plus avec un gouvernement qui cède sur à peu près tous les sujets environnementaux.
Une première étape pour changer les choses serait de retisser des liens. Comment parler à une grande partie des agriculteurs, qui se considèrent, à tort, victimes d’une vision de l’écologie urbaine et bobo ? Comment les convaincre de se tourner vers l’agroécologie ? Pour cela, il faut recréer des espaces de dialogue et de rencontre entre nous, mais aussi avec le reste de la société. C’est ce que l’on a fait, par exemple, en travaillant avec Les Soulèvements de la terre et Bassines non merci! autour de la défense de l’eau, mais aussi en intégrant l’Alliance écologique et sociale. En outre, il n’y aura pas d’écologie populaire si on ne s’empare pas de la question du revenu : si des agriculteurs ne vivent pas de leur travail, il ne va pas être possible pour eux d’avancer sur la question de l’arrêt des pesticides, etc.
Instaurer la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ne serait-il pas un bon moyen de défendre à la fois l’écologie et un revenu digne pour les agriculteurs ?
La SSA est de fait l’une des solutions globales dont nous avons besoin. Ce qui freine le déploiement d’une écologie vraiment populaire est le coût de l’alimentation, qui est plus chère dès lors qu’elle est de qualité et durable. Or, nous ne pouvons pas faire peser cela uniquement sur le consommateur. De façon plus générale, il faut des propositions systémiques et de rupture avec notre modèle économique ultra-libéral. Sans cela, nous n’y arriverons pas.