Ça y est : la COP, c’est fini. Comme chaque année, la conférence qui doit régler le sort des générations futures aura ressemblé à un Rotary Club destiné à l’élite climatique, et ceux qui croient encore en ses promesses. Pour conjurer la sinistrose qui pourrait nous saisir, faisons nous plaisir avec un petit portrait : celui du leader climatique, qui mange des petits fours pour repousser la fin du monde.
Un article issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Olga Prader.
Face au « grand défi du siècle », la classe possédante répond à l’appel. Il faut imaginer les yeux humides, les narines tressaillantes et le front haut d’Al Gore, ex-candidat à l’élection présidentielle américaine, lorsqu’il annonce à Davos cette vérité qui ne dérange plus personne : « Le fardeau d’agir qui repose sur les épaules des personnes qui vivent aujourd’hui est difficile à imaginer. Mais c’est [la bataille des] Thermopyles ! C’est Azincourt ! C’est la bataille des Ardennes ! C’est Dunkerque ! C’est le 11 Septembre ! »(1) On claironne, on sonne du cor. D’un consensus l’autre, Wall Street répond à l’appel du Giec, tandis que les gouvernements débarquent aux COP pour les olympiades du mot flou et de la promesse sibylline. Mais encore leur faut-il faire oublier toutes les impérities des quatre décennies précédentes.
Ce boulot-là a été confié à un taxon bien spécifique de l’élite politique : les leaders d’opinion. Ils s’appellent Al Gore, Christiana Figueres, Arnold Schwarzenegger, et tous ont un point commun : ils ont vécu la prise de conscience climatique. Les leaders d’opinion viennent d’horizons divers, pour vendre l’« union sacrée » contre l’ennemi carbone. Union large, inclusive : des banquiers, des entrepreneurs, des dirigeants d’entreprise, des technocrates. Si les leaders d’opinion sont des facilitateurs, des inside-insiders, ils ont aussi pour fonction de sermonner, d’admonester, de gronder. Ils déplorent le manque de volontarisme, exhortent d’écouter les alertes des scientifiques, conjurent de dépasser nos petites différences. Puisqu’après tout, il suffirait de si peu. Dire cela, ce n’est pas dire autre chose : que la rupture nécessaire est immense, qu’il faudrait en faire infiniment plus, que réformes et compromis n’y suffiront pas.
Mais les COP ne soulèvent plus les foules. Alors les leaders d’opinion ont développé une nouvelle stratégie : la déclaration performative. Renonçant à l’adage populaire voulant que les promesses n’engagent que ceux qui y croient, ces leaders assurent que les promesses n’engagent que si l’on y croit. Autrement dit, peu importe le fond réel d’un accord, la force des engagements pris, il faut avant tout miser sur la réception médiatique du discours. Ainsi de l’Accord de Paris de 2015 : historique ! Un tournant ! « C’est un cri répété par mille sentinelles ; Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; C’est un phare allumé sur mille citadelles… » Du Baudelaire ! Les Hosannas fusent, c’est l’incantation générale. Comment ça, pas de mesure réellement contraignante ? Comment ça pas de tribunal en cas de non-respect ? Chut, fermez les yeux : n’entendez-vous pas la liesse ? Écoutez la négociatrice Laurence Tubiana : « L’Accord de Paris doit être une prophétie autoréalisatrice. » Amen.
(1) Cité dans Fin du monde et petits fours (Édouard Morena, La Découverte, 2023).