À Salindres, dans le Gard, Solvay a décidé de fermer son usine qui produisait des TFA, un composé de la famille des polluants éternels. L’occasion de revenir sur la sempiternelle opposition entre écologie et emploi, qui pourrait aussi être une alliance… à condition de s’en emparer.
L’écologie ou l’emploi, il faut choisir : la rengaine est bien connue. Plus d’écologie, c’est plus de contraintes, des coûts qui explosent, des secteurs supprimés, des délocalisations et du chômage de masse, sans oublier les dix plaies d’Egypte. Bien pratique, cette opposition, puisqu’elle permet de disqualifier les écolos, tout en dédouanant les industriels qu’ils soient de la chimie, de l’agroalimentaire, des hydrocarbures, etc.
Nouvel épisode de cette opposition factice : Salindres, dans le Gard, où le géant de la chimie Solvay a annoncé plus tôt dans le mois son intention de fermer l’usine locale qui produisait des TFA, des acides trifluoroacétiques qui comptent dans la famille des PFAS, autrement nommés « polluants éternels ». En cause : le manque de compétitivité du site face à la concurrence internationale, mais aussi le « durcissement des réglementations française et européenne sur les PFAS ». Eh oui, plus moyen de polluer en paix…
De là à accuser les écolos et les associations qui ont dénoncé et documenté les pollutions environnementales sur le site d’être les responsables de la suppression des 68 emplois directs (sans compter les emplois indirects), il n’y a qu’un pas… que certains élus locaux de droite n’ont pas hésité à franchir.
Salariés empoisonnés
Mais est-ce bien ce que pensent les travailleurs et travailleuses de l’usine ? Pas vraiment, à en croire l’enquête de terrain menée par Reporterre. Si l’annonce dévaste les salariés et, au-delà, toute la population locale – le taux de chômage du Gard est l’un des plus élevés de France –, personne ne doute que Solvay entend simplement aller polluer ailleurs, pour moins cher.
Des salariés interviewés confessent qu’eux-mêmes sont probablement empoisonnés, quand ce n’est pas leurs enfants. Car depuis qu’on a appris la dangerosité des PFAS, on remarque des maladies anormales, des fausses couches tardives qui s’enchaînent… Finalement, on n’en veut pas vraiment à l’association écolo Générations futures d’avoir révélé ce que tout le monde savait.
Que demande-t-on sur place, réellement ? « Que le site soit nettoyé et qu’on reparte sur une usine plus propre, avec un impact environnemental le plus faible possible. » Le maintien des emplois ET le respect de certains critères écologiques. On pourrait autrement reprendre les termes du communiqué de Générations futures : « Nous réaffirmons la nécessité d’une transition écologique de l’activité du site qui anticipe les futures réglementations sur les rejets polluants et protège à la fois les emplois, les écosystèmes et la santé publique. »
On pourrait même aller plus loin, et imaginer une reconversion du site à d’autres fins, en dialogue avec les salariés qui sont les plus à même d’identifier leurs compétences et comment les mettre à profit autrement. Aller vers l’auto-organisation des travailleurs au service de la transition.
Des éoliennes plutôt que des armes
On pourrait redécouvrir l’expérience des salariés de Lucas Aerospace, il y a tout juste un demi-siècle, et en faire une boussole pour la reconversion écologique. Des ouvriers britanniques de l’époque avaient ainsi tenté d’échapper au plan de licenciement de l’entreprise en proposant de faire des éoliennes plutôt que des armes.
Le sociologue Hadrien Clouet détaille l’affaire :
« Les salariés ont bossé pendant un an et demi et ils ont dressé une liste : “les dialyses rénales, ça on sait faire, les panneaux solaires, on sait faire aussi”… Ils ont même inventé un prototype de véhicule multimodal pour passer de la route au rail ! Mais ils n’ont pas été écoutés, et pas parce que leur projet était farfelu : le patronat s’est même réapproprié quelques années plus tard bon nombre de leurs idées. Bref, il faut donner aux salariés un pouvoir d’intervention sur les qualifications et les reconversions qui sont socialement et écologiquement utiles, et auxquelles les stratégies entrepreneuriales opposent trop souvent une fin de non-recevoir. »
D’une industrie de mort, les ouvriers ont trouvé le moyen d’en faire une activité utile à la société et aux générations futures. Mais alors, où est la gauche écolo dans l’affaire Solvay ? Si les élus locaux NFP tentent de ferrailler, les groupes militants comme les élus nationaux seront restés atones… laissant les coudées franches au Rassemblement national qui, en la personne de Pierre Meurin, député du Gard, a interpellé à l’Assemblée le ministre de l’Industrie sur la question.
Dans sa bouche, tant la dimension écologique du problème que la solution par l’auto-organisation et les perspectives de transition sont totalement évacuées, au profit d’une valorisation opportuniste de l’excellence et la souveraineté française sur la production de ces composés chimiques.
L’exemple de Salindres, comme d’autres, offre pourtant l’occasion d’une alliance entre milieux ouvriers et perspectives écologiques… et de briser le cadrage médiatique qui oppose les deux. À condition de s’en emparer !