« Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». C’était le thème de l’émission C Politique, ce dimanche 13 octobre. Clément Sénéchal s’est ainsi retrouvé face à cinq représentants de l’écologie bourgeoise déterminés à le décrédibiliser. Attention, masterclass de dépolitisation.
Ça y est, c’est vraiment la rentrée ! On a enfin le retour des plateaux de débat consacrés à l’écologie. Ça nous avait manqué. En attendant que Karim Rissouli relance la machine sur C Ce Soir, on devra se contenter de C Politique, le « forum de discussion » animé par Thomas Snégaroff, qui consacrait il y a quelques jours une émission sur le thème « Budget : Pourquoi l’écologie perd toujours ». Ça vous dit quelque chose ? Normal : le titre est celui du livre de Clément Sénéchal qui nous a accordé une interview il y a quelques semaines.
Sans surprise, la bourgeoisie médiatique est toute trépignante à l’idée de nous donner son avis éclairé sur les mésaventures de l’écologie. À croire que ça la démangeait, car elle nous a donné ce soir-là une masterclass de dépolitisation. Objectif : arracher ses crocs à cette écologie qui leur fait si peur (la nôtre).
1. L’occupation du terrain
Face à Clément Sénéchal, nous avons donc cinq représentants de l’écologie bourgeoise. Toute la famille : Martin Hirsch le haut-fonctionnaire-écrivain, Marine Braud la consultante, Flora Ghebali l’entrepreneuse, Denis Pingaud l’expert politiste, Corinne Lepage l’ancienne ministre. On aurait voulu faire une sociographie de la bourgeoisie écolo médiatique qu’on aurait pas fait mieux. « Six nuances de vert sur ce plateau ! », va même jusqu’à s’exclamer une Flora Ghebali extatique qui voit trouble. Le manque de diversité n’a pourtant frappé Thomas Snégaroff, l’animateur, qu’après 37 minutes d’émission : « Je ne voudrais pas que Clément Sénéchal se sente seul sur ce plateau. »
Le camp bourgeois aime à mettre en scène les douces modulations de ses opinions. Il en plaisante volontiers, et on va même jusqu’à s’envoyer quelques piques inoffensives et bien senties, en s’appelant par son prénom. Il faut bien rappeler qu’ils ne sont pas toujours d’accord – sauf sur l’essentiel.
Derrière la variété toute relative des professions du trombinoscope, on retrouve en réalité : une ancienne conseillère de Macron, un ex-gradé du PS, une ex-communicante de François Hollande puis ex-candidate d’une liste macroniste, un communicant de crise passé par le PS et associé de Gaspard Gantzer, conseiller de Hollande puis conseiller de Macron. Le liant est fait : c’est le centre, à l’extrême. Le journaliste n’est manifestement pas là pour rappeler le CV politique de ses invités, c’est bien dommage.
2. La mise en accusation
L’écologie libérale est donc venue en nombre, et tout le monde s’entend parfaitement pour trouver des solutions pragmatiques et réalistes au grand défi de notre temps : tout est en place pour opérer le retournement. C’est-à-dire le contre-procès. Car si en apparence tout le monde est réuni pour critiquer le gouvernement et le « sacrifice de l’écologie », la vraie cible est ailleurs.
Tout sera fait pendant l’heure qui suit pour retourner la mise en accusation opérée par une critique assez radicale à l’encontre d’une écologie bourgeoise, qui se fait « par le haut » et sans les classes populaires, et prouver aux yeux du téléspectateur qu’on ne négocie pas avec les radicaux. D’un procès l’autre : la bourgeoisie aurait pu faire mieux, mais les gaucho auraient fait pire.
3. Diluer la parole critique
La première opération de désamorçage se joue dans le dispositif lui-même, comme bien souvent, par une opération simple : en surchargeant le plateau d’invités à qui il faut bien donner la parole, on réduit le temps de parole de chacun.
Quand le compteur n’affiche qu’une unique parole à charge contre cinq en défense, on imagine le résultat : quelque chose comme 8 minutes de temps de parole accordées à Clément Sénéchal, dont l’intitulé de l’émission reprend pourtant le titre de l’ouvrage et qui lui fait prétexte. L’accusateur accusé aimerait pouvoir se défendre, il le demande d’ailleurs, mais il aura donc cinq fois moins de temps que la partie adverse.
4. Déstructurer le débat
La seconde opération, permise par l’abondance d’invités, est de déjouer toute possibilité de débat, c’est-à-dire la mise en place d’un rapport dialectique entre personnes aux vues et arguments contradictoires, qui se répondent les unes aux autres. La parole est donnée, et pourtant, elle tourne : cinq fois avant de revenir.
En bref : chacun vient servir sa soupe, tandis que la soporifique tournée de table annihile la capacité à répondre, une fois le bâton de parole revenu, à un propos tenu dix minutes plus tôt. Ne reste à l’invité critique qu’une paire de séquences de deux à trois minutes pour donner à voir sa position et ses arguments entre deux attaques ou caricatures. Il ne lui reste alors d’autre option que de lâcher ses propres punchlines et chausser plus fermement la casquette qu’on lui a collée en entrant sur le plateau – bref : jouer son rôle.
Et que les invités ne s’avisent pas de rompre la concorde ! S’ils ne respectent pas le tour de parole ou se répondent trop vertement, voire, sacrilège, « parlent l’un sur l’autre » : Thomas Snégaroff est là pour rétablir l’ordre de la discussion entre gens convenables.
6. La conflictualité à visage couvert
La bourgeoisie, quand elle n’a pas à sortir les canons de Versailles, s’applique à dissimuler sa violence. Sa tactique centrale, par laquelle elle gouverne depuis plusieurs décennies, est d’assimiler la conflictualité à la violence, et donc d’exfiltrer l’une comme l’autre du débat public. Il faut « concilier », nous dit Martin Hirsch, tandis que Flora Ghebali, balayant le capitalisme et la décroissance, s’alerte qu’on mette « des concepts sur la table qui font peur aux gens ». Déjà que les gens ont peur de la fin du mois, d’autres de la fin du monde, il ne faudrait pas en plus aller leur parler de rapports de production.
Leur violence découle naturellement de ce refus sirupeux de la violence : il faut faire passer les tenants de la conflictualité politique pour des malades. Martin Hirsch s’inquiète ainsi de la « haine » de Clément Sénéchal. Lui, nous confie-t-il, narre dans son dernier roman l’histoire de gens « tout à fait raisonnables qui pourraient être autour de ce plateau » (cf point 2 plus haut) « basculent non seulement dans l’activisme mais dans l’illégalité pour hacker le monde » ! Imaginez donc ! On imagine ses nuits difficiles si elles sont peuplées de pareilles images.
Tout le monde s’en donne à coeur-joie. Ce type de discours (le nôtre, toujours) « tue l’écologie », il est « violent », « catastrophique », et « repose sur des mouvements qui ont oublié l’écologie au bénéfice d’autre chose », assène Corinne Lepage, pointant apparemment la France insoumise, à laquelle n’est pourtant pas affilié Clément Sénéchal. « Oui mais enfin il pourrait y être… »
Flora Ghebali, qui était « dans des milieux assez radicaux, d’ONG » (hum), confesse avoir eu « des amis qui me disaient qu’il allait falloir une tyrannie verte, déclencher l’état d’urgence à un moment… » Robespierre n’est jamais loin.
Denis Pingaud acquiesce gravement, car lui aussi est « inquiet » du discours qu’il entend, la lutte anticapitaliste « rejoignant d’une certaine façon le climatoscepticisme et le climato-je-m’en-foutisme ».
7. Ne surtout pas débattre du fond
Occupation du terrain, monopolisation de la parole, stérilisation du débat, pathologisation de l’adversaire… mais qu’en est-il du fond ? Ont-ils des arguments ? Pensez-donc ! Par exemple : l’écologie doit-elle être capitaliste ou anti-capitaliste ? Vraie question, après tout. « Le débat ne m’intéresse pas », clôt Flora Ghebali. Pourquoi ? « Parce que quel est l’impact de cette notion conceptuelle sur la vie quotidienne d’un français ».
On lui expliquerait que la plupart des gens ont un rapport bien concret et charnel à la dialectique Capital – Travail, à l’aliénation du salariat, aux effets destructeurs du mode de production capitaliste sur leur santé et leur espérance de vie, mais bon. Ce serait certainement perdre son temps avec une personne qui prend Yuval Hariri pour un grand historien, dont elle retient l’importance « des nouveaux récits » et d’imaginer une « civilisation écologique »… Ces notions conceptuelles-là, bizarrement, ne font pas frissonner l’entrepreneuse. Denis Pingaud opine, lui qui veut parler de la « transition heureuse » qu’il appelle de ses vœux : « soyons positifs ! ». Quant à Martin Hirsch, les écolos finalement « se font plaisir » mais viendront vite se « heurter au mur de la réalité ». Hé les écolos, grandissez un peu – et chut, les adultes parlent.