2 octobre 2024

Frontières, nouvelle vitrine de l’écofascisme

Jusqu’ici assez anecdotique, l’écofascisme français trouve depuis quelques mois une place conséquentes dans les colonnes de Frontières – Livre noir. De quoi s’inquiéter ?


L’écofascisme français était jusqu’ici bien poussiéreux, à l’étroit dans la galaxie confidentielle d’une Nouvelle Droite que tout le monde a oubliée et la nébuleuse groupusculaire de collectifs extrémistes et d’instituts proposant d’obscures formations intellectuelles. Mais depuis quelques mois, la bouilloire commence doucement à frémir grâce au dernier né des médias d’extrême droite : Livre noir. Pardon, Frontières, puisque le trimestriel a récemment changé de nom et annoncé son ambition de devenir le « Mediapart de droite » en recrutant 25 journalistes à plein temps.

En l’espace de quelques mois, sous la plume du rédacteur en chef du journal Alexandre de Galzain, coucheur de vers antimodernes, les articles appelant la droite (extrême) à épouser enfin l’écologie se sont multipliés, allant jusqu’à proposer des conseils pratiques pour être écolo au quotidien. L’écologie serait le « devoir » de la droite qui doit faire le « choix de la cohérence ».

Sur Instagram, le journaliste y va avec moins de pincettes en affirmant qu’il « n’y a rien d’incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Renaud Camus, théoricien à qui revient la paternité de ce concept complotiste, a donc trouvé une filiation dans la nouvelle garde de l’extrême droite.

Le logiciel écofasciste

Aucun ingrédient de l’écofascisme version européenne ne manque :

👉 un éloge de la frontière qui permet de lier communauté nationale (hermétique et homogène) et écosystème naturel ;

👉 une mixophobie ethno-différentialiste qui ne hiérarchise pas les races mais valorise leur multiplicité… pour mieux les séparer en rejetant tout mélange ou cosmopolitisme ;

👉 un révisionnisme écologique prétendant que l’écologie serait historiquement de droite ;

👉 un essentialisme passant par un éloge confus de l’identité, de l’enracinement, de l’harmonie avec la nature (et donc les orientations sexuelles supposées naturelles, ou la division genrée des hommes et des femmes selon un modèle traditionnel) ;

👉 un refus du développement économique et industriel qui se traduit par l’artificialisation des campagnes, leur défiguration, le remplacement du clocher par le supermarché (ou pire, par la mosquée).

On sent planer l’ombre de l’influenceur d’extrême droite Julien Rochedy qui a eu droit à un entretien écrit mais aussi filmé sur la chaîne YouTube du média pour défendre son idée de « biocivilisation ». L’« intellectuel » y dénonce là encore confusément les ravages d’un capitalisme qu’il peine à définir, d’une gauche qui aurait « du flair mais pas de goût », et prône un retour à de petites communautés homogènes, traditionnelles, dans le respect de la « nature ».


Un nouveau challenger dans l’arène

On rappelle que la récupération de l’écologie par la droite suit trois logiques différentes voire concurrentes :

🚀 l’option technolutionniste adhère à l’impératif écologique en intégrant la nécessité d’une décarbonation du capitalisme, qu’elle entend parachever grâce à l’innovation ;

🛢️ l’option carbofasciste rejette le constat écologique en le niant ou en le minimisant, et valorise au contraire l’impérialisme, l’extractivisme, les modes de production et de consommation écocidaires (« drill baby drill ! ») ;

⚜️ l’option écofasciste, enfin, revendique l’écologie elle-même en la fondant dans une logique anti-moderne, localiste et xénophobe.

Faut-il s’inquiéter de cette poussée de l’écofascisme ? Il est vrai qu’elle n’avait jusqu’ici presque aucun relais médiatique et donc peu de visibilité ou de poids dans la bataille qui se joue pour le sens à donner au mot « écologie ». Voir un média montant et des influenceurs en vue s’en emparer ne peut pas être accueilli par un haussement d’épaule. Cette poussée signifie l’ouverture d’un nouveau front pour l’écologie sociale : en plus de combattre la dilution du mot écologie dans la novlangue technocratique, elle va devoir maintenant apprendre à combattre le « coucou » écofasciste qui vient s’installer dans son nid.

De là à penser que l’écofascisme puisse, à court ou même moyen terme, peser réellement politiquement, il y a un grand pas qu’on se gardera bien de franchir.

Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, on vous recommande la lecture de La tentation écofasciste de Pierre Madelin et Ecofascismes d’Antoine Dubiau !

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