17 juillet 2024

La Constituante : mirage ou espoir de la gauche écolo ?

Face au blocage institutionnel dont on ne sait s’il est appelé à durer, des appels en faveur d’une VIe République ressurgissent au sein de la gauche. Entre espoir d’un système plus parlementariste et désir de renverser la table du système représentatif traditionnel, la perspective d’une Constituante ne peut être pensée sans considérer le rapport de force politique actuel.


La « clarification » voulue par Macron, qui l’espérait à son profit, n’a pas eu lieu. Du moins pas sur le plan électoral, la division en trois blocs rendant, au moins temporairement, le pays ingouvernable. Nous assistons pour l’heure à la paralysie du système présidentialiste français issu de la Ve République, et plus largement sur la logique du winner takes all, un type d’architecture électorale pensée pour offrir des majorités franches là où elles n’existent pas toujours et éviter ainsi tant les négociations et les coalitions propres aux systèmes parlementaristes que les situations de crises de gouvernementalité dont la IVe avait fait le triste exemple.

En résumé : l’émergence de trois blocs politiques plus ou moins équilibrés – bloc de gauche, bloc bourgeois et bloc réactionnaire – a mis en échec la Ve. Il n’est pas illogique d’entendre, en conséquence, monter les appels à une clarification non pas politique mais institutionnelle, cette fois. Comme le résume la constitutionnaliste Charlotte Girard, coordinatrice du programme de la France insoumise (FI) en 2017 : « On est peut-être à l’aube d’une révision constitutionnelle majeure ». 

Une intuition qui semble confirmée par la multiplication des appels en ce sens, de la gauche libérale incarnée par Raphaël Glucksmann, qui rêve d’un parlementarisme à l’allemande, jusqu’à la gauche un peu moins réformiste qui entend sortir de la cave les ambitions d’une démocratie participative, à l’instar de Clément Viktorovitch, qui a consacré une vidéo au sujet. Une intuition également confirmée par un sondage récent commandé par Politis, qui a consacré un dossier au sujet : 63% des Française et Français seraient favorables à une nouvelle constitution. 

Une aubaine pour l’écologie ?

L’écologie pourrait-elle sortir grandie d’une rupture institutionnelle ? Dans les demandes de VIe République ou de révision constitutionnelle majeure qui émergent de la gauche, certaines marquent clairement leur désir pour un régime parlementariste, comme de nombreux autres pays européens peuvent connaître. Construire une nouvelle « culture du compromis » à travers des coalitions politiques ad hoc, sur chaque loi, permettrait de faire avancer des dossiers écolos (entre autres) et répondre à l’urgence tout en évitant la « brutalisation » qui empêcherait la discussion sur des termes pacifiés.

Autant le dire immédiatement : on ne voit pas bien ce que ça changerait. Déjà parce qu’il s’agit d’épouser une vision bourgeoise de la politique comme éthique de la pondération, de la modération, valorisant la recherche d’un compromis qui nie trop souvent la dimension profondément conflictuelle et clivante de l’écologie. Ensuite parce que les systèmes parlementaristes européens n’ont en rien prouvé qu’ils étaient en mesure de répondre à l’urgence sociale et écologique, et que la France abrite une des dernières gauches réellement de gauche et écologique d’Europe. Enfin : d’un point de vue électoraliste, les différents systèmes européens n’auraient, à de rares exceptions près, pas réglé le problème de la tripartition. Notons même que le RN aurait remporté la victoire (sinon la majorité absolue) dans la plupart des autres pays européens.

L’option de la démocratie radicale

En revanche, une autre proposition colle bien davantage aux réflexions menées par une partie du camp de l’écologie : l’Assemblée tirée au sort. Par son ancrage localiste, sa culture de l’autonomie, la prise en compte du temps long et des générations futures, ses racines libertaires, ses courants d’influence anarchiste, l’écologie politique est l’espace intellectuel où le dépassement du système de la représentation nationale traditionnelle a été le plus riche ces dernières décennies.

Une réflexion qui s’inscrit dans un débat plus large sur l’héritage de 1789 et même de la démocratie athénienne, et sur les modalités d’expression du demos. Comme le résumait Montesquieu : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par le choix est de celle de l’aristocratie ». On ne reviendra pas en détail ici sur ce débat historique, et sur le fait que ce que nous appelons démocratie est en réalité une forme d’aristocratie élective qui signe la victoire, lors de la Révolution française, du camp de la représentation sur le camp des démocrates. 

En revanche, qu’elles soient concurrentes ou complémentaires des institutions représentatives, facultatives ou obligatoires, consultatives ou contraignantes, issues de la tradition révolutionnaire ou non, les propositions institutionnelles issues de l’écologie ne manquent pas.

👉 Une chambre de citoyens tirés au sort pour éclairer ou décider pour « ceux qui ne votent pas » (les générations futures), censée intégrer le temps long et dégager un intérêt général excédent les logiques partidaires. Composée en toute ou partie par des citoyens tirés au sort, cette chambre pourrait devenir une troisième chambre ou remplacer le Sénat.

👉 Des conventions populaires « ad hoc », composées de citoyens tirés au sort et réunies localement ou nationalement pour des décisions précises (par exemple des choix énergétiques impliquant une stratégie sur plusieurs décennies, poke le nucléaire). La Convention citoyenne pour le climat (CCC), malgré son mandat relativement limité, fort peu révolutionnaire et soumise à un agenda trop serré, a pu montrer toute la capacité des citoyens à se former rapidement et formuler des propositions bien plus radicales que le camp du soi-disant compromis alors au pouvoir.

👉 Démocratie directe via un municipalisme et un confédéralisme démocratique, comme pensée sous la plume de Murray Bookchin, un des plus grands théoriciens de l’écologie politique. Voire une version davantage dans la tradition « conseilliste », la démocratie des Soviets, dont certains tentent de montrer le potentiel écologique, et qui dessine plutôt la voie vers une Assemblée des assemblées. Voie dans laquelle s’étaient engouffrés certains gilets jaunes.

Nonobstant la diversité des propositions et leur pertinence, deux questions se posent : 

  • un processus constituant est-il envisageable dans le contexte actuel ?
  • un processus constituant est-il souhaitable dans le contexte actuel ?

C’est pas ma faute à moi

Entendons-nous : ce qui suit est de la pure politique-fiction. Mais plusieurs facteurs objectifs et subjectifs laissent penser que la possibilité de voir Emmanuel Macron dégainer le processus constituant n’est pas si loufoque que ça.

Pour ce qui est des raisons objectives : rien, à date, ne garantit un retour à une relative stabilité institutionnelle. Sans coalition entre deux blocs, le gouvernement, qu’importe sa ou ses couleurs politiques, passé quelques mesures par décrets, risque de tomber, et c’est retour à la case départ. Rien ne dit non plus qu’une coalition allant de l’extrême centre à l’extrême droite soit possible (le RN n’y a pas intérêt), ou qu’une coalition allant de la droite du bloc de gauche jusqu’aux Républicains soit une perspective réellement envisagée du côté du PS et d’EELV. La seule solution serait alors de retourner aux urnes dans un an, sans que cela ne garantisse une composition différente de l’Assemblée.

Pour ce qui est des raisons subjectives : Emmanuel Macron est isolé, forcené et pyromane. Sa psychologie, largement décrite par le journaliste Marc Endeweld, nous pousse à ne pas écarter un coup d’éclat. Ni sous-estimer sa capacité à renvoyer la responsabilité à d’autres : si les Français sont incapables de trancher par les urnes, c’est qu’ils veulent changer les institutions. La « clarification » est faite. Et de là à se présenter comme le grand architecte d’une République nouvelle, il n’y a qu’un pas.

Précisons que la constitution de la Ve République ne prévoit de procédure que dans le cadre d’une révision, pas d’une Constituante. En l’absence de procédure précise, et dans l’optique de donner une légitimité au processus comme au texte de la nouvelle constitution, Emmanuel Macron devrait certainement avoir recours au référendum (article 11) pour demander son avis sur la tenue d’un processus constituant, puis, après une année de travail, un second référendum pour voter le nouveau texte.

Rapport de force défavorable…

À trop souhaiter la VIe République, on en oublierait presque de se demander quel contexte présiderait à sa naissance. À commencer par qui va décider de sa composition. Notre constitution actuelle est ainsi le fruit du travail d’un comité d’experts et d’un comité interministériel, rédigée dans un contexte de guerre civile. Rien n’indique que l’Assemblée constituante sera le fruit d’un travail réellement populaire, qu’elle comportera des citoyens tirés au sort, etc. Il va sans dire que la composition peut largement infléchir le résultat final et la capacité d’une nouvelle constitution à rompre avec la précédente, à faire preuve d’inventivité ou de détermination à redonner davantage de pouvoirs au peuple.

Le contexte politique et social, et la capacité du bloc de gauche à influencer ce processus, est aussi douteux. C’est bien d’ailleurs la clef de la stratégie de VIe République avancée par la France insoumise : prendre le pouvoir, redorer le blason de la gauche par des mesures fortes, puis instituer une Constituante qui peut aller dans le sens populaire et progressiste souhaité, avant de se représenter devant les électeurs avec la main haute.

Troisième élément du rapport de force : le pouvoir de nuisance du camp d’en face et particulièrement de la « deuxième peau du système », le camp médiatique. On peut être certain que le scénario d’une Constituante à la composition réellement populaire susciterait l’hostilité d’un système médiatique qui baigne dans une vision élitiste et conservatrice de la politique – Rancière dirait « la haine de la démocratie » et/ou dans la défense des intérêts de leurs propriétaires. L’exemple chilien est riche de mises en garde : suite à un processus constituant inédit, la population a fini par rejeter un texte issu du mouvement social de 2019, qui devait acter la sortie d’une constitution néolibérale taillée par et pour Pinochet. Entre autres causes, mais certainement pas des moindres : une puissante campagne d’intimidation et de contre-feu des médias majoritairement conservateurs.

… ou kairos politique ?

Faut-il désespérer ? Pas nécessairement. Quand bien même la main de départ n’est pas bonne, et quand bien même le modèle parlementariste traditionnel conserve une grande puissance dans le camp de la gauche, un processus constituant resterait une opportunité inédite de rappeler que nous sommes le camp de la radicalisation de la démocratie, loin des subterfuges démocratiques de l’extrême droite, se résumant généralement au référendum, qui cachent en réalité un césarisme qui conduit plus certainement au fascisme.

Ce serait alors une bataille considérable qui attendrait la gauche, contrainte de trouver des relais dans des mouvements sociaux de l’ampleur des Gilets jaunes, qui ont d’ailleurs laissé en héritage des cahiers de doléances dont on saurait quoi faire. Il suffit d’une braise.

Crédits illustration : La plantation d’un arbre de la liberté, Jean-Baptiste Lesueur, 1790, Paris, musée Carnavalet.

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