7 mars 2024

L’écologie n’est pas un dîner de gala

Au programme de cette newsletter, on vous parle d’un point qui est selon nous fondamental : la nécessité d’offrir un espace de débats et de discussions entre les différentes sensibilités de l’écologie.

Mais avant de commencer, on voulait dire un grand merci   à toutes celles et ceux qui ont donné de leur temps pour remplir notre petit questionnaire. Toutes vos réponses (et messages d’encouragement !) nous aident énormément à cerner vos attentes et à bâtir pas à pas le futur média de nosvos rêves. Pour celles et ceux qui n’auraient pas encore eu le temps de répondre, c’est bien sûr toujours possible…

Voici donc une petite mise au point sur le rôle que Fracas entend jouer en tant que média utile aux combats écologiques.

Doit-on avoir peur du dissensus ? Nous pensons que non. Nous pensons que le dissensus est inséparable de la pratique démocratique et qu’à l’inverse, la recherche du consensus est fondée sur la croyance que les institutions démocratiques sont neutres et impartiales – ce qui n’est, bien sûr, pas le cas. Comme le « dialogue social », le « compromis » ou le « statu quo », le « consensus », est aujourd’hui l’une des armes rhétoriques préférées de l’extrême-centrepour imposer l’ordre néolibéral et « traiter » les contestations populaires qui le menacent. Par l’argument du « consensus », toute idée politique qui sortirait d’un cadre préalablement fixé – en l’occurrence, celui de la préservation des intérêts de la classe bourgeoise – se retrouve irrévocablement disqualifiée.

Nous pensons que l’un des premiers exercices d’hygiène démocratique consiste au contraire à accepter et organiser le conflit. Que la démocratie n’est rien d’autre que la pratique par laquelle les citoyens révèlent leurs opinions, convictions et intérêts divergents, et cherchent à arbitrer le dissensus. Pas seulement par le vote : aussi par d’autres pratiques comme la manifestation ou la désobéissance civile. Une démocratie digne de ce nom doit donner en permanence la possibilité d’un affrontement politique, blocs contre blocs, et aménager un espace pour le faire.

Heureusement donc, le mouvement écologique a fini par abandonner ses illusions consensuelles ces dernières années, et a compris plusieurs choses : 

  • ‍♀️ Que si les gouvernements n’agissent pas, ce n’est pas qu’ils ont mal lu les rapports du Giec ;
  • Que l’écologie ne peut s’inscrire que dans un rapport conflictuel entre classes sociales ;
  • Que les plus riches ont des comptes à rendre.

Mais qu’en est-il du dissensus à l’intérieur de l’écologie ? Nous l’avons affirmé dès notre manifeste publié en janvier : l’écologie n’a rien d’un bloc homogène et la diversité des pensées qui s’y rattachent est précieuse. Mais elle a, aussi, tout à perdre au morcellement, aux querelles de chapelle et aux luttes intestines.

Nous sommes convaincus qu’il faut organiser le débat entre celles et ceux qui se revendiquent comme écolos, mettre au jour les pommes de discorde qui nous fragmentent et nous dispersent. Certaines resteront insolubles, mais nous sommes persuadés que la plupart sont surmontables, voire fertiles.

C’est sans doute ce qu’un média a de plus utile à offrir : un espace de dissensus fertile . Rapport à l’État, à la technique, au naturalisme, au genre, à l’histoire coloniale, à la collectivisation, aux stratégies de prise du pouvoir, aux tactiques de résistance… Tous ces sujets peuvent se révéler clivants, mais identifier les fossés est aussi ce qui permet d’y jeter des passerelles.

Nous voulons créer, avec Fracas, cet espace grâce auxquels les lecteur·ices, témoins ou protagonistes de ces échanges, interprètes de ces mots d’ordre, tranchent et se positionnent, s’inquiètent des angles morts ou s’enthousiasment des vides comblés par la découverte d’une nouvelle idée ou de tel·le auteur·ice, se donnent de l’élan pour poursuivre certains combats et en amorcer de nouveaux.

Cet espace doit être ouvert au-delà de l’écologie. C’est en puisant dans différentes références, idées, perspectives et vécus que l’écologie sera en mesure de proposer des pistes inédites et fécondes pour penser le monde et accompagner les alliances sociales résolues à le changer.

Si cet espace doit être ouvert : jusqu’où ? Ça ne vous a pas échappé, l’écologie est aujourd’hui sur toutes les lèvresdans toutes les têtes. Il s’agit donc de délimiter notre espace de débats.

Selon André Gorz, l’écologie politique est une éthique de la libération… forcément anticapitaliste : « Je ne dirais donc pas qu’il y a une morale de l’écologie, écrivait le philosophe dans son livre Écologica (Galilée, 2008), mais plutôt que l’exigence éthique d’émancipation du sujet implique la critique théorique et pratique du capitalisme, de laquelle l’écologie politique est une dimension essentielle. […] Si tu pars, en revanche, de l’impératif écologique, tu peux aussi bien arriver à un anticapitalisme radical qu’à un pétainisme vert, à un écofascisme ou à un communautarisme naturaliste. »

✊ Pas la peine de se cacher derrière son petit doigt : l’écologie dont nous nous réclamons est populaire, féministe, décoloniale et anticapitaliste. L’espace de débat que nous souhaitons créer ne sera donc pas ouvert à cette écologie mainstream comme l’appellent certains, écologie vulgaire comme d’autres la désignent, qui n’en finit pas d’avancer par reptation. Quand elle ne tente pas d’inoculer le poison de la résignation, elle écarte sans ménagement toute possibilité et toute revendication qui pourrait contrevenir, directement ou indirectement, à la conservation de l’économie capitaliste. Si elle joue le jeu des « divisions qu’il faut dépasser » et du « réalisme », c’est pour gagner du temps et faire en sorte que fondamentalement, rien ne change.

C’est sûrement le moment d’en dire un peu plus sur nous, car Fracas n’est pas un bloc monolithique : en interne aussi, il y a chez nous de nombreux débats, voire désaccords prises de tête.

Si on s’intéresse à Philippe, par exemple, sa trajectoire idéologique manque de consistance est super intéressante. Il est arrivé à l’écologie par les auteurs technocritiques et libertaires, comme Murray Bookchin, Jacques Ellul, et Bernard Charbonneau. Il engueule d’ailleurs souvent Clément pour son ça-va-pétismebolchévisme atavique dès qu’un mouvement social, aussi minuscule soit-il, se déclare.

Clément, maintenant, est beaucoup plus charpenté idéologiquement un peu limité dans ses référencesPlus malin et plus drôle aussi. Passionné par l’histoire ouvrière et la sociologie du travail, il est arrivé à l’écologie par des penseurs écosocialistes et marxistes, comme André Gorz ou Razmig Keucheyan. Il engueule de temps en temps Philippe pour sa niaiserie sensiblerie naturaliste.

Marine, enfin, est directrice artistique : elle ne lit donc que des livres de typographie et sait à peine écrire et parler a une répartie corrosive. Elle est fan de Cyril Céline Dion et veut convertir le mouvement écolo au Beyoncisme. Elle engueule Philippe et Clément sur quelques à peu près tous les sujets pour accompagner leur déconstruction.

Merci de nous avoir lu jusqu’ici, et à très vite ! 

Philippe, Marine et Clément 

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