Alors que la COP29 a commencé ce lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, nous avons choisi de vous présenter une figure incontournable de la gouvernance climatique, dont Jeff Bezos est l’un des plus éminents spécimens : le carbon cowboy. Ses efforts consistent à prouver que faire du business et sauver le climat sont deux activités totalement compatibles. Sacré programme.
Un article issu du premier numéro de Fracas. Illustration : Olga Prader.
L’époque a besoin de miracles, et le Nouveau Monde ne manque pas de business angels. Think tanks climatisés et fondations climatophiles pullulent sous l’égide des milliardaires états-uniens qui ont su, paraît-il, écouter les alertes scientifiques : la Climate Policy Initiative (George Soros), la Carbon War Room (Richard Branson), la Bezos Earth Foundation (lui-même)… Le patron d’Amazon est le camarade retardataire. En guise d’amende honorable, le mauvais élève aura dû injecter 10 milliards dans sa fondation pro-planète.
Excuses acceptées : on lui ouvre immédiatement les portes de la COP26 qui se tient à Glasgow en 2021. Fraîchement débarqué de son jet privé, il livre à la tribune ces paroles profondes : « La nature fournit toute la nourriture que nous mangeons, l’eau que nous buvons, l’oxygène que nous respirons. Elle nous donne la vie. Elle est belle, mais aussi fragile. » Jeff est décidément la preuve vivante que la réussite couronne le génie. Il confesse que cette vérité lui est apparue lorsqu’il est allé dans l’espace avec Blue Origin, sa propre compagnie de tourisme spatial. Espace où il entend d’ailleurs transférer les industries polluantes pour sauver la planète. De son voyage céleste, Jeff tire une conclusion : « Le changement climatique nous donne une formidable raison d’investir dans la nature. » Alors il investit : ses 10 milliards vont faire pousser des arbres.
Il n’est pas le seul à aimer les arbres : de nombreux philanthropes semblent subitement épris des milieux forestiers. Les marchés aussi, qui commencent à préférer les puits de carbone aux puits de pétrole : carbone émis, ça se paie ; carbone repris, ça se vend. La terre devient bien plus qu’une valeur refuge, elle est une classe d’actifs qui a l’avenir pour elle. Ainsi en Écosse les nouveaux lairds sont-ils écolos (1). Riches Européens et Californiens se sont découvert une passion pour les tourbières, ces pompes à carbone. Ils n’ont pas chômé puisque deux tiers des terres écossaises sont déjà aux mains d’un seul petit millier de propriétaires.
D’un accaparement l’autre : le laird est parfois aussi un missionnaire. Vert, et plus sûrement blanc. Alors que le colon allait civiliser le sauvage, le néo-colon ensauvage au nom de ladite civilisation. Le carbon cowboy arpente les forêts tropicales sûr de sa cause pour y débusquer l’eldorado de puits naturels où stocker le carbone-actif. Quant aux autochtones, ils sont bien souvent priés d’évacuer les lieux. Le carbon cowboy n’a pas grand-chose à redire au colonialisme vert en vigueur : leur idée coloniale de l’Éden africain rencontre parfaitement l’idée conquérante d’une civilisation planétaire décarbonée (2). Coïncidence ? Une partie de l’argent de Jeff vise justement à restaurer les vertes collines de l’Afrique (3).
(1) Edouard Morena, Fin du monde et petits fours, La Découverte, 2023.
(2) Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe
de l’Éden africain, Flammarion, 2020.
(3) Élodie Goulesque, « En Afrique, un gigantesque projet crée l’illusion
de la reforestation », La Croix, 21 mai 2024.